Editorial

Selon un communiqué AFP du 10 mai, le ministre de l’intérieur français Michèle Alliot-Marie a appelé ses compatriotes à regarder en face le passé de la France à l’occasion d’une cérémonie de commémoration de l’abolition de l’esclavage qui a eu lieu à Bordeaux ce jour-là. «La mémoire n’est rien si elle n’est pas dans le même temps une prise de conscience», a déclaré cette brave dame en ajoutant pour faire bon poids: «On se grandit à regarder son passé en face, en assumant ses parts d’ombres et ses aspérités, en rejetant la tentation de l’oubli.»

Ce langage pompeux nous rappelle fâcheusement les discours que tenaient, à propos de la Suisse, les étrangers, en particulier américains et israéliens, qui se mêlaient insupportablement de nos affaires à la fin du siècle dernier, lors de la fameuse affaire des fonds en déshérence. «La Suisse doit faire la lumière sur son passé!» tonnaient ces empoisonnants personnages. «La Suisse doit regarder son passé en face!» renchérissaient les carpettes de service, qui oubliaient, comme Mme Alliot-Marie d’ailleurs, qu’il est impossible de regarder en face ce qui se trouve derrière soi, à moins d’utiliser un miroir, donc de voir l’image à l’envers.

Il ne faut pas se laisser berner: tous ces «efforts de lucidité» n’ont d’autre but que de préparer les populations à l’idée que des pactoles doivent être versés à des «victimes», le plus souvent indirectes, d’exactions plus ou moins anciennes et plus ou moins avérées. Dans le cas du ministre de l’intérieur français, il s’agit de donner à l’Etat les moyens de répondre un jour ou l’autre aux exigences de descendants d’esclaves réels ou supposés, sans que les contribuables se rendent compte que leurs autorités se déculottent lamentablement à leurs frais.

Pourtant, le simple bon sens montre l’absurdité de ces méthodes mémorielles. Imaginez qu’un jour, un inconnu sonne à votre porte et vous tienne le langage suivant: «D’après un généalogiste éminent, votre arrière-arrière-grand-père a trompé votre arrière-arrière-grand-mère avec ma propre arrière-arrière-grand-mère qui a eu de lui un fils, mon arrière-grand-père. Cet adultère a causé un tort considérable à ma trisaïeule et à mon bisaïeul. J’exige vos plus plates excuses. J’exige que vous vous grandissiez en regardant votre passé en face. J’exige que votre mémoire soit dans le même temps une prise de conscience, et que vous me versiez des réparations financières.» Vous lui ririez au nez et vous auriez bien raison. Qu’avez-vous donc à faire des éventuelles polissonneries de votre trisaïeul, dont vous ignorez probablement le nom?

Si seulement les politiques avaient du p… Ne nous égarons pas! Si seulement les politiques avaient un peu de courage!

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