Editorial
Une jeune Suissesse musulmane, portant foulard, est en train d'accomplir, à titre volontaire, son école de recrues. Il est probable que personne n'en aurait entendu parler si la jeune personne ne s'en était vantée sur Facebook, créant émoi et réactions1.
Pour ce qui est de ces dernières, le conseiller fédéral Guy Parmelin s'est illustré en déclarant que le voile était parfaitement conforme au règlement de l'armée, du moment qu'il était dissimulé sous la casquette ou le béret. Et d'ajouter: «Mais ce n'est pas un voile dont il s'agit en la question, c'est un foulard.» Toutefois, notre chef du Département de la défense, qui n'a probablement jamais vu un foulard islamique de près et qui semble ignorer pourquoi les musulmanes pratiquantes le portent, affirme par ailleurs: «Si la jeune dame enlève son couvre-chef par hypothèse, [le foulard] ne doit pas être visible aussi longtemps qu'elle est en uniforme (…) Et ceci sera appliqué comme pour n'importe quel autre signe distinctif qui n'a rien à faire avec les exigences du service.»
Ça va être commode pour cette petite, compte tenu du nombre de circonstances qui exigent qu'on «enlève son couvre-chef par hypothèse»!
M. Parmelin a, je crois, raison d'opérer une distinction entre voile et foulard, même si la jeune recrue ne le fait apparemment pas, qui déclarait sur le réseau social: «En Suisse je suis la première femme voilé [sic] à faire le service militaire.»
Mais il importe assez peu qu'il s'agisse de voile ou de foulard, puisque qu'il est impossible de dissimuler entièrement l'un et l'autre sous un couvre-chef et que tous deux sont des pièces d'habillement. Or l'article 58 al. 3 du règlement de service de l'armée suisse prescrit: «Il est interdit de porter des effets d'habillement, des insignes ou autres objets qui ne sont pas réglementaires.»2
Les soldats Suisses de confession juive en uniforme ne sont pas autorisés à porter la kippa, avec ou sans béret, que je sache; ni les chrétiens à épingler une croix à leur casquette. Alors pourquoi faire une exception en faveur d'une jeune musulmane?
Pourquoi les autorités militaires feignent-elles de croire que le règlement est respecté? De quoi, de qui a-t-on peur?
Pourquoi est-on en revanche si strict sur la faute qu'a commise la jeune femme en publiant sur Facebook une photo d'elle-même en uniforme avec un commentaire qu'on juge «politique»? Qui pense-t-on satisfaire ou calmer au moyen de cette «compensation»? Les photos de militaires pullulent sur les réseaux sociaux sans qu'il soit possible de vérifier qu'elles ont été dûment autorisées; et se vanter d'être la première femme à porter le «voile» dans l'armée suisse me paraît relever au mieux d'une fierté naïve, au pire du témoignage religieux.
Cette jeune personne – dont le public ne sait rien, pas même le nom – est Suissesse et bénéficie des mêmes droits et devoirs que les autres Suisses, notamment en ce qui concerne le service militaire. Il est donc hors de question de lui contester le droit de se mettre volontairement au service du pays si tel est son désir, si elle a en les aptitudes et si elle est prête à se soumettre au régime commun.
Avant de préconiser, comme on a pu le lire sur Facebook, que l'armée expulse la jeune femme de ses rangs, ou au contraire de défendre cette dernière au moyen d'arguments piteux, il conviendrait d'abord de déterminer comment cette affaire de foulard a été traitée au moment du recrutement.
Il faut alors se demander si quelqu'un a seulement expliqué à la future recrue que le foulard n'était pas compatible avec le port de l'uniforme.
S'il en est ainsi et que la jeune femme a refusé de se séparer de son signe religieux, pourquoi a-t-elle été recrutée? Si, hypothèse assez peu vraisemblable me semble-t-il, elle a triché en ne portant pas son foulard au recrutement, pourquoi ne l'a-t-on pas mise au pas dès l'entrée en service? Si ce n'est pas le cas et qu'on a simplement négligé de l'informer, ce n'est pas à elle qu'il faut s'en prendre, mais aux incompétents qui n'ont pas vu le problème ou qui n'ont pas osé en faire état de crainte d'être taxés d'islamophobie.
Reste l'argument selon lequel «sans vouloir généraliser, certains citoyens posent une question qui peut se résumer de la façon suivante: dans un conflit entre musulmans et non-musulmans, vers qui pointera-t-elle son fusil que nous lui avons donné? Comment utilisera-t-elle l'entraînement qui lui aura été enseigné par les Suisses?»2
J'avoue que je n'en sais rien, mais j'ai un peu l'impression qu'on peint le diable sur la muraille. D'ailleurs, foulard ou pas foulard, la question se pose alors pour tous les soldats musulmans de l'armée suisse. Doit-on les traiter tous comme des terroristes en puissance ou des ennemis et leur défendre d'accomplir leurs obligations militaires?
Il faut savoir raison garder; ce qui n'interdit pas une discrète surveillance.
Et, bien sûr, notre recrue musulmane doit renoncer à son foulard.
Mariette Paschoud
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