Ici et là-bas

Lorsque vous lirez ces lignes, Vladimir Poutine aura (très probablement) été réélu à la présidence de la Fédération de Russie. A l'heure où nous les écrivons, il a déjà la satisfaction d'être à la une de tous les bulletins d'information de tous les médias occidentaux. Ces derniers nous entretiennent quotidiennement et avidement de la longue liste des méfaits commis par le maître du Kremlin.

Dans ce contexte, nous avons tout de même regardé avec intérêt deux reportages du téléjournal de la RTS. Le premier présentait, assez honnêtement, de jeunes militants «pro-Poutine», qui se réjouissaient d'un pouvoir fort et stable pour leur pays. Le second, le lendemain, donnait la parole à une jeune femme qui représentait l'opposition. Contre toute attente, nous avons aussi trouvé quelque inspiration dans ce second reportage.

La jeune femme en question expliquait en effet qu'en Russie les médias officiels ne parlent pas de l'opposition et des opposants, et qu'il faut aller sur internet pour savoir ce que disent ces derniers. Sur les réseaux sociaux, des textes jugés inopportuns sont purement et simplement effacés. Les internautes doivent faire attention à tout ce qu'ils disent ou écrivent, ainsi qu'aux traces qu'ils laissent. Certains d'entre eux ont été inquiétés par la police pour un simple clic sur un bouton «j'aime».

Si tout cela est vrai – ce qui n'est pas invraisemblable –, il serait peut-être opportun de signaler aux opposants russes que les choses se passent de la même manière en Europe occidentale. Ici aussi, les personnes ayant des opinions dissidentes apprennent à faire attention à ce qu'elles disent. Ici aussi, il faut aller sur internet pour trouver une certaine diversité de pensée. Ici aussi, les réseaux sociaux sont surveillés et parfois censurés, et des personnes peuvent être inquiétées pour un simple «like».

Cette réflexion désabusée est déroutante. Est-ce à dire que, en dépit des apparences, la situation est assez semblable ici et là-bas? Ceux qui rêvent de partir se réfugier à l'Est pour échapper aux dérives de l'Europe occidentale seront-ils déçus en découvrant que la Russie réprime aussi les opinions divergentes?

D'instinct, et sans entrer dans une réflexion approfondie sur ce sujet, nous songeons immédiatement à deux différences, l'une conceptuelle et l'autre pratique.

En Russie, le pouvoir est incarné par un homme; cet homme a un nom, un visage, une voix, une histoire; il assume son rôle de chef et il décide. Les opposants savent à qui ils s'opposent et qui les empêche parfois de s'exprimer. En Europe occidentale, les autorités politiques apparaissent plutôt comme des autorités d'exécution, comme de simples relais d'une idéologie qui imprègne toute la société et dont personne n'assume la paternité; le pouvoir est diffus, partagé entre des médias, des organisations non gouvernementales, quelques penseurs aussi discrets qu'influents, ainsi qu'une masse de gens influençables et sans idées, à qui on ne cesse de répéter qu'il leur incombe de façonner le monde. Etre un «opposant», de ce côté-ci de l'Europe, c'est s'attaquer à un ectoplasme insaisissable et impersonnel.

La seconde différence est triviale. Peu importe que la tolérance envers les idées divergentes soit aussi peu développée là-bas qu'ici, car les «valeurs» dominantes de l'Ouest ne sont pas les mêmes que celles de l'Est. Ceux qui, ici, souffrent d'une liberté d'expression trop étroitement encadrée n'auront précisément pas ce problème là-bas: ils se retrouveront la plupart du temps en parfait accord avec les autorités et la majorité de la population. Peut-être même ne verront-ils pas d'un mauvais œil qu'on encadre strictement la liberté d'expression des «déviants». Tout est une question de point de vue.

Pollux

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