Editorial

Rendant compte le 13 avril, en toute objectivité bien sûr, des cérémonies qui avaient marqué la veille le cinquantième anniversaire des funérailles du général Henri Guisan, 20 minutes titrait non sans satisfaction: «Guisan n’attire plus la grande foule.» Et d’ajouter ce commentaire d’une rare intelligence:«L’anniversaire du décès du général suisse de la guerre de 1939-1945 a attiré un millier de personnes. Bien loin des 300 000 d’il y a cinquante ans.» Nous n’ergoterons pas sur le fait que le général est mort le 7avril et non le 12, pas plus que nous ne perdrons du temps à expliquer au journaliste de service, dont le nom n’est pas révélé, qu’il aurait tout avantage à suivre un cours consacré aux règles de la ponctuation. Nous lui ferons remarquer qu’il n’y a aucune comparaison possible entre les funérailles nationales d’un général connu, aimé et respecté de tous – même si c’est à tort selon l’intelligentsia gauchiste –, quinze ans à peine après la fin d’une guerre qu’avaient vécue avec lui et derrière lui des millions de gens, et une commémoration qui survient cinquante ans plus tard alors qu’une bonne partie des protagonistes de l’époque sont soit morts soit très âgés; alors que les cours d’histoire dispensés à nos enfants et petits-enfants n’accordent à l’histoire suisse qu’une part négligeable, de surcroît orientée dans le sens du conformisme moderne; alors que la gent de gauche, journalistes et historiens «révisionnistes» confondus, s’acharne à dénigrer le rôle des autorités politiques et militaires qui, pendant la deuxième guerre mondiale, ont fait de leur mieux pour épargner à notre pays les horreurs d’une invasion. Mais éviter à la Suisse les horreurs d’une invasion implique évidemment que «(…) le pays dut faire nombre de compromis pas toujours jolis jolis avec l’ennemi pour sauver sa peau», ainsi que l’écrit avec un mépris non dissimulé la nommée Cathy Macherel le 12 avril dans le même quotidien. De toute évidence, la pécore et ses semblables appartiennent à la race des politiques et des généraux qui considèrent les soldats comme de la chair à canon qu’on envoie au casse-pipe dans des opérations perdues d’avance, histoire de montrer à l’ennemi qu’on n’a pas peur de lui; qui se préoccupent peu des pertes civiles et militaires du moment que l’honneur, revu et corrigé à la sauce actuelle, est sauf. Dans cette optique, évidemment, il est tout simplement indécent que, entre 1939 et 1945, le Conseil fédéral et le général Guisan aient déployé tous leurs efforts pour que la Suisse ne soit pas entraînée dans un conflit meurtrier. Honte et repentance! Nous n’allons pas prétendre que la Suisse fut épargnée par la guerre uniquement grâce aux compétences, à l’excellence et à l’infaillibilité du général Guisan et des autorités politiques de l’époque. Dans une Suisse encerclée, il a fallu parfois faire preuve de souplesse, et il ne faut pas sous-estimer non plus le rôle du facteur chance ou même d’éléments inexpliqués à ce jour. Jean-Jacques Langendorf et Pierre Streit, auteurs du tout récent Le Général Guisan et l’esprit de résistance1, le relèvent opportunément à la fin du chapitre intitulé 1939-1942: le décor de la pièce sanglante (p.80):«Toutefois on aurait tort de croire que jusqu’à ce moment2 la guerre est jouée. Les puissances de l’Axe avaient alors les moyens de la gagner. Et les interrogations subsistent: pourquoi le programme de construction de missiles balistiques V1 et V2 a-t-il été arrêté en novembre 1939? Pourquoi le corps expéditionnaire britannique pris au piège à Dunkerque a-t-il finalement été épargné en mai 1940? Pourquoi la Suisse n’a-t-elle pas été envahie après l’armistice de juin 1940? Pourquoi les Allemands ont-ils sous-estimé le théâtre d’opérations méditerranéen? Enfin pourquoi Hitler a-t-il commis l’erreur fatale de déclarer la guerre aux Etats-Unis après Pearl Harbor, alors que rien ne l’y obligeait et que face à un Congrès isolationniste, le président américain n’aurait pas eu la possibilité de lui déclarer la guerre unilatéralement? Toute ces questions montrent que l’étude de la Seconde Guerre mondiale doit se jouer des déterminismes un peu faciles et des explications qui privilégient des facteurs jugés clés, ceci au détriment d’une approche multicausale qui, elle, s’inscrit dans la chronologie. L’histoire de la Suisse durant cette tragique période n’échappe pas à cette nécessité.» Les historiens et journalistes qui rejouent la guerre après coup feraient bien de s’inspirer de cette sage attitude. On leur rappellera par ailleurs qu’ils ne seraient peut-être pas là pour pérorer si le général Guisan et les responsables politiques de l’époque avaient appliqué leur conception d’une guerre «morale». Le Pamphlet 1 Ed. Cabédita, 1145 Bière. 2 Décembre 1941, ndlr.

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