Covid-19. En Allemagne, folie douce et légère hystérie collective
(Emprunté à Polémia le 8.10.2020)1
Séisme en Bavière
La petite ville de Garmisch-Partenkirchen est une bourgade charmante et paisible de Haute-Bavière, enchâssée dans son écrin de roc et de verdure, à l'ombre de la Zugspitze, le point culminant de la République fédérale. Ici comme ailleurs, Maître Coronafoirus a provoqué quelques dégâts, mais la vie poursuit malgré tout son cours paisible dans les rues piétonnes du centre historique, à l'ombre des maisons ornées de fresques si typiques de ce beau coin de terre. Même les accents yankees, auxquels on s'est depuis longtemps habitué, ne peuvent troubler la sérénité du lieu. C'est sans doute que les «stagiaires» envoyés ici en formation à la Grande Epoque avaient quelques habitudes de discrétion – le George C. Marshall Center, œuvre de rééducation au bénéfice des futures élites des pays de l'ex-bloc Papa, qui viennent y téter le lait des Droits de l'Homme et sucer le miel de l'‰conomie de Marché, est l'héritier d'un centre de formation en langues slaves de la maison moustache de l'Oncle Sam – et qu'il en est resté quelque chose.
C'est donc un séisme qui a secoué notre paisible bourgade alpine il y a un peu plus de trois semaines. Ce séisme a un nom. Il ou plutôt elle s'appelle Yasmin A., 26 ans, citoyenne américaine. Le 12 septembre dernier, elle a eu les honneurs de la presse bavaroise, puis rapidement de la presse nationale allemande. A en croire tous ces journaux bien informés – papier comme électroniques – la jeune femme aurait commis le pire des crimes. Cette jeune touriste irresponsable, au mépris des règles sanitaires en vigueur, et, osons le dire, des bonnes mœurs et de la plus élémentaire bienséance, violant par là même l'hospitalité accordée à l'Etranger, aurait fait une tournée – certains journaux évoquant le fait qu'elle ait pu renouveler ses expéditions nocturnes plusieurs soirs de suite – passablement arrosée des bars et autres hauts lieux de la vie nocturne de la petite ville de Garmisch-Partenkirchen, alors qu'elle venait d'une «Risikogebiet», une région à risque Covid. A la lecture de la presse locale, très remontée contre notre Yasmin, on pouvait presque inférer qu'elle avait fini sa nuit au schnorchel dans un caniveau, après avoir littéralement écumé tous les pubs, estaminets et autres gargotes de la ville: «Ein Superspreader macht Party», un supercontaminateur fait la fête, titrait la Bayerische Rundfunk. Selon les médias, la jeune dame, avait été testée à son arrivée, conformément à la réglementation d'exception actuellement en vigueur. A cette occasion, on lui avait enjoint, sur le mode clairement impératif, de se mettre en quarantaine jusqu'à l'obtention des résultats. Mais elle n'avait pas attendu les résultats du test avant de partir en goguette, alors qu'elle présentait des symptômes.
Au cours de son équipée, elle aurait croisé la route d'une foule de gens et contaminé pas moins de trente-trois personnes. Bien pire, elle aurait été en contact avec un membre de l'équipe de football amateur locale, conduisant à la mise en quarantaine de toute l'équipe. Interrogé par RTL, l'entraîneur du FC-Garmisch-Partenkirchen y épancha sa bile, énervé au dernier degré que sa très prestigieuse équipe soit privée de la prochaine rencontre avec la non moins glorieuse équipe de Nirgends-am-Arsch-der-Welt. Le Landrat – conseiller cantonal – de Garmisch y alla de son couplet, exprimant sa très vive réprobation – sans toutefois se départir de la retenue qui sied à un notable et à un édile. Pensez donc! A cause d'elle, on avait vu le nombre des nouveaux cas exploser, et franchir la barre fatidique et ô combien dramatique des 50 nouveaux cas pour 100'000 habitants en une semaine, seuil fixé par le prestigieux Robert-Koch-Institut de Berlin, au-delà duquel de nouvelles mesures de restriction de liberté doivent être prises.
Mobilisation générale
L'affaire, en quelques heures, quelques jours, prenaient de l'ampleur. Les locaux de détente et autres débits de boisson recevaient sans tarder la consigne de fermer à 22h00 – c'est, semble-t-il, l'heure à partir de laquelle, en France comme en Allemagne, le virus se déchaîne, où l'on voit que l'unité politique franco-allemande, ayant échoué à emprunter la voie de l'infiniment grand (De Gaulle-Adenauer), pourrait se faire par l'infiniment petit –, les attroupements de plus de cinq personnes dans l'espace public étaient désormais interdits – au grand dam de sympathiques riverains qui voulaient justement manifester contre la circulation automobile en forte croissance dans la région, et de paysans que préoccupait davantage la circulation du loup –, les fêtes privées se voyaient limitées à cent personnes à l'air libre, à cinquante en espace confiné. On convoqua derechef mille personnes, soupçonnées d'avoir été plus ou moins passivement en contact avec la jeune personne au cours de son escapade, afin de les tester, et d'établir ainsi de manière irréfutable à la face du monde, ou à tout le moins des Hauts-Bavarois, Bas-Bavarois, Souabes et autres Hauts-Franconiens la véracité de l'abominable forfait.
N'écoutant que son sens du devoir, le parquet de Munich se saisit de l'affaire, afin d'engager les nécessaires poursuites contre l'impétrante. Enfin, jugeant sans doute que la gravité de l'heure, l'étendue de la menace et la frivolité de quelques mécréants imposaient de faire un exemple, l'ineffable Markus Söder, maître tout-puissant de la CSU et de la Bavière – on voudra bien me pardonner ce qui est encore un pléonasme, mais ne le restera pas indéfiniment –, sortit de son silence, et prononça l'une de ces paroles définitives dont il a le secret: «Garmisch-Partenkirchen est un parfait exemple d'irresponsabilité. Cette légèreté doit être sanctionnée.» Et d'ajouter, avec son solide bon sens typique de la patrie des Fugger: «Il est raisonnable que l'amende soit lourde.» Cette entrée en scène fracassante du prétendant à la chancellerie et donc à la succession de Mutti mit le point d'orgue à l'affaire. On n'attendait plus, désormais, que le verdict des tests et l'inéluctable exécution qui suivrait, le pilori, l'écartèlement, et le virement en bonne et due forme vers la caisse de l'Etat libre de Bavière. Attendant la sentence, mais déjà condamnée, la criminelle était placée en dét… quarantaine.
Et finalement…
Las … Le 16 septembre, le Landrat si énervé du 12 septembre annonçait, vaguement contrit, que la situation était sous contrôle. Rapidement, il apparaissait que la touriste délinquante Yasmin A. était en réalité une résidente permanente de Garmisch – depuis un an et demi – et qu'elle travaillait à l'Edelweiss Lodge & Resort, un hôtel réservé au personnel civil et militaire des forces armées américaines stationnées en Europe et à leurs familles. Les nouveaux cas d'infection détectés à Garmisch étaient pratiquement tous en lien avec l'Edelweiss – sans que l'on puisse établir formellement que Yasmin était la patiente «zéro». Des 1000 condamnés au prélèvement PCR, les 740 premiers résultats donnèrent… trois cas positifs. Au grand désappointement des autorités, il fut absolument impossible d'établir le moindre lien entre ces trois personnes et notre malheureuse Américaine… dont il apparut finalement que ses débordements de fêtarde s'étaient en réalité limités à passer quelques heures avec deux ou trois amis dans un paisible local. Enfin, le 17 septembre, personne ne se souvenait plus exactement si, lors du test, on avait réellement dit à Yasmin qu'elle devait se mettre en quarantaine, ou bien s'il s'agissait d'une simple recommandation. Restait le fait essentiel: ce jour-là, le 12 septembre, la deuxième vague de coronafoirus avait submergé notre paisible bourgade, avec 54 – ou bien étaient-ce 59? – nouveaux cas pour 100'000 habitants en sept jours, franchissant le seuil redoutable fixé à 50, et mettant en branle la résistible mécanique de la dictature sanitaire à l'ombre de la Zugspitze.
François Stecher2
1 https://www.polemia.com/covid-19-en-allemagne-folie-douce-et-legere-hysterie-collective/.
2 François Stecher est correspondant de Polémia en Allemagne.
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