L'abus de santé nuit gravement à la santé
«Beaucoup de bonheur et surtout une bonne santé!» Dans les sociétés traditionnelles, la bonne santé fait encore partie des choses que l'on se souhaite lors des occasions importantes – en insistant instinctivement de la voix, comme pour montrer que, même s'il s'agit d'une expression courante, on accorde tout de même de la valeur au sens de ces paroles. Chez nous, il en reste une trace dans ce mot que l'on prononce, sans trop y penser, lorsqu'on lève un verre en bonne compagnie.
Dans les sociétés traditionnelles, autrefois, la santé gardait une part de mystère. On l'envisageait avec une dose de fatalité. On priait pour l'obtenir et on pleurait lorsque la maladie prenait le dessus. On y ajoutait un peu de médecine naturelle et quelques potions, mais, pour l'essentiel, personne ne prétendait maîtriser totalement la santé.
Nous vivons aujourd'hui dans un monde moderne, scientifique et rationnel. La santé est devenue une préoccupation majeure, bien plus grande qu'auparavant puisqu'il n'y a plus de mystère ni de fatalité: nous sommes désormais censés maîtriser notre santé grâce à la science et à la médecine, ce qui ouvre tout à la fois des espoirs infinis et des frustrations insupportables. Notre monde rationnel continue d'avoir peur de la maladie et de la mort, et la santé est ainsi devenue une obsession maladive à laquelle beaucoup sacrifient leur temps, leur argent, leur énergie, leur liberté, voire leur santé.
Ce constat prend une signification particulière dans les circonstances que nous connaissons depuis une année, où les craintes collectives face à un nouveau virus sont en train de paralyser et d'asphyxier progressivement le monde occidental. Le phénomène n'est pourtant pas entièrement nouveau: l'explosion des coûts de la santé au cours des vingt dernières années trahit un recours de plus en plus intensif à la médecine physique et mentale, aux traitements les plus modernes, aux médicaments les plus sophistiqués. Ce souci intense de la santé, allié à une confiance aveugle dans la science, explique sans doute la déférence extrême de la population à l'égard des professionnels de la médecine – aussi écoutés et respectés aujourd'hui que l'étaient autrefois les hommes d'Eglise.
Il existe heureusement des médecins raisonnables, respectueux de leurs patients, humbles face aux limites de leur art et peu versés dans les tentations transhumanistes visant à rendre l'humain immortel grâce à la biotechnologie. Mais il y a aussi tous les autres, orgueilleux et prométhéens, qui n'acceptent pas que la nature puisse résister à leur science et qui estiment que la santé publique doit être imposée de gré ou de force. Ce sont eux qui, depuis des années, pilotent les politiques de prévention qui nous exhortent à cesser de vivre pour ne prendre aucun risque. Et ce sont eux qui, aujourd'hui, pilotent les mesures sanitaires des autorités – ces mesures qui menacent d'anéantir des pans entiers de notre société.
A quelque chose malheur est bon: les excès que nous subissons en ce moment amènent un certain nombre de personnes à prendre leurs distances avec l'obsession idéologique de la santé, à remettre en cause la confiance qu'on accordait aux experts et aux scientifiques dans ce domaine, et à retrouver l'envie de vivre sans se laisser submerger par l'angoisse face au mystère de la maladie et de la mort.
Pollux