Au courrier

Chère Madame Paschoud,

Je ne m'attends pas à être publié dans le courrier des lecteurs du Pamphlet, même si je dois vous concéder que l'idée ne me déplairait pas.

Je lis et apprécie vos articles depuis plusieurs années. L'offre de la presse, même celle qui se veut – ou se croit – intelligente, s'est gauchisée, normatisée, avec pour triste conséquence la rareté des opinions. Votre journal est intéressant, car il échappe à cette sorte de bonne conscience obligée, de politiquement correct plat, d'humanisme béat sans relief, qu'il faudrait suivre si possible en s'affranchissant de toute réflexion. Le Pamphlet a le mérite d'être libre, assumant son conservatisme et ses idées propres, parfois déroutantes. Je crois fermement que notre société a besoin de vous et de cette tribune lettrée, autorisant la pensée critique et assumée. Je tiens à vous en féliciter.

J'ai cependant été surpris par ce que je perçois comme une contradiction:

D'un côté l'excellent article, tiré d'un ouvrage de Jean-François Revel, relevant l'absurdité des tentatives réformatrices visant à féminiser artificiellement la grammaire française (no 504). D'un autre, (au no 502) vous affirmez votre choix de voter NON à l'initiative dite «Anti-Burqua», et critiquez ouvertement le Comité d'Egerkingen, dont j'aurais pu croire que vous entreteniez une certaine proximité idéologique avec lui. D'une certaine manière, à contre-sens de votre supposé camp conservateur, vous vous exprimez en tant que femme et ne voyez pas en quoi cette initiative serait utile. Vous vous insurgez, à juste titre, contre cette manie de tout vouloir réguler, y compris la façon dont on devrait s'habiller dans notre pays, avec au passage un rappel bienvenu aux principes du fédéralisme. Dans cet article, vous défendez une position égalitaire et féministe. Vous me pardonnerez j'espère ces mots peut-être un peu forts, mais en tous les cas, vos lignes sont plutôt libérales, elles défendent l'idée d'une liberté sociale dans laquelle l'Etat n'a pas à intervenir.

Quelques semaines plus tard, (no 507), vous semblez désabusée, fatiguée même, à l'idée d'ouvrir le mariage aux couples de même sexe. Vous ne semblez pas sensible au banal constat que l'ouverture de droits – et d'obligations – à ces derniers ne change pas grand-chose, d'autant plus que vous n'êtes pas concernée par la question. Rien ne changera pour vous et rien ne vous sera pris. Les couples nouvellement mariés, après tout, paieront plus d'impôts et n'auront droit qu'à une rente et demie à leur retraite… Le mariage pour tous ne concerne-t-il pas que les couples en question, de même que les choix d'habillement des musulmanes ne concernent-t-ils pas qu'elles-mêmes?

Je ne m'attends pas à ce que vous changiez d'avis sur cette question, à présent démocratiquement et largement tranchée, mais cette contradiction m'a interpellé et donné envie de vous écrire. Je m'interroge sur la façon dont nous pouvons être conservateurs dans une société en mouvement, tout en défendant une vision parfois libérale. Ce ne doit pas toujours être facile d'être à contre-courant...

Cela étant, malgré ma divergence d'opinion sur ce sujet particulier, j'espère avoir encore longtemps le plaisir de vous lire.

Cordialement,

A. E.

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