Peut-on vraiment parler d'un «droit à l'avortement»?

[Les manifestations en faveur du droit à l'avortement qui se sont déroulées après la décision, prise le 24 juin par la Cour suprême des Etats-Unis, de restituer aux Etats américains la compétence de légiférer en matière d'interruption de grossesse nous ont remis en mémoire l'article ci-dessous, publié le 18 mai – avant la décision donc – par Mme Suzette Sandoz sur son blogue Le grain de sable1. Réd.]

Je voudrais aborder cette question sans a priori, sans jugement des personnes, sans sexisme, seulement sous un angle éthique fondamental et la lier à une autre question éthique: «Y a-t-il un droit à l'euthanasie?».

C'est volontairement que je rapproche les deux questions, car toutes deux concernent la mort: l'euthanasie, comme l'avortement, c'est une mise à mort; le droit à l'euthanasie est le droit de demander et d'obtenir d'être mis à mort ou le droit de mettre à mort une personne qui le demande; le droit à l'avortement est le droit de demander la mise à mort de l'enfant futur que l'on porte.

Dans les deux cas, la cause de la demande de mise à mort est le plus souvent une situation de détresse de la personne qui la formule ou qui revendique le droit concerné. Mais cette détresse, si respectable soit-elle, crée-t-elle vraiment un «droit» à une mise à mort?

A vrai dire, le problème n'est pas tout à fait le même selon qu'il s'agit d'euthanasie ou d'avortement. Dans le premier cas, le suicide permettrait à la personne concernée d'éviter de requérir l'aide d'un tiers. Mais un suicide n'est pas toujours possible, pour de multiples raisons dont, parfois, la crainte d'un échec.

L'avortement, lui, ne peut être pratiqué sans l'aide d'un tiers et d'un tiers professionnel, sauf à se muer en une atroce boucherie.

On peut dire que la personne qui souhaite être euthanasiée «dispose de son propre corps», mais le problème, c'est qu'elle réclame d'autrui l'accomplissement de sa mise à mort. Si le droit de pratiquer l'euthanasie est revendiqué par un tiers, c'est-alors du droit de tuer à la demande qu'il s'agit. L'Etat ne peut entériner ni un «droit» à être mis à mort sur demande, ni un «droit» de mettre à mort sur demande. Il doit veiller au respect du «droit» à la vie et dans ce sens, notre droit pénal qui ne punit l'assistance au suicide que s'il y a un mobile égoïste paraît très équilibré.

En cas d'avortement, la question est beaucoup plus complexe, puisqu'il ne s'agit pas seulement de disposer de son propre corps mais aussi de disposer en même temps de la vie d'une 2e corps, grandissant en soi. Il ne peut pas y avoir de «droit» à l'avortement parce que nul n'a un droit individuel absolu de vie et de mort sur un tiers; en revanche, il y a bien une double responsabilité de l'Etat d'assurer la protection de la santé, éventuellement de la vie de la mère et de l'enfant à naître. Un avortement sera toujours le résultat d'une sorte de pesée d'intérêts. Il est donc normal que le législateur y pose des conditions. Celles-ci seront plus ou moins strictes selon la culture ambiante et doivent être cherchées dans le respect et de la mère et de l'enfant futur. Mais à aucun moment, dans cette recherche d'une solution, le législateur ne peut reconnaître un «droit à l'avortement» comme tel, car le faisant, il nie le principe même de la valeur de l'être humain.

D'aucuns diront qu'il s'agit juste d'une question de vocabulaire. Je ne le pense pas. Il s'agit d'un problème beaucoup plus profond. La revendication par certains milieux d'un «droit» à l'avortement semble l'indice d'une fuite devant la vérité, d'une peur de la responsabilité. On ne peut pas jouer avec les mots quand ils concernent des valeurs fondamentales.

1 https://blogs.letemps.ch/suzette-sandoz/.

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