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Le vulgaire se vend bien

Iris Bonsens n’en revient pas des nippes payées fort cher que s’honorent d’arborer les branchés de la mode :

«Comment cette jeune femme, au demeurant jolie, peut-elle se satisfaire de porter des haillons?! s’étonne-t-elle, pointant du doigt une paire de jeans déchirés au rasoir qui arpentent la rue, aux fesses d’une demoiselle à la tête un peu vide, ravie d’être “dans le vent”.

– Tu n’as pas compris? Des petits malins venus de loin se sont avisés qu’il y avait plus à profiter de fripes confectionnées en cadences infernales par des malheureux, en des clapiers-soupentes dont ne voudraient pas nos lapins, qu’en s’appliquant pendant huit jours, à trois petites-mains, à sortir une robe de couturier dans un atelier avec pignon sur rue. Partis le ventre vide de leurs bourbiers lointains avec seulement leurs hardes; parvenus, nez au vent, dans nos villes-lumières, ils ont vite reniflé comment s’engraisser le portefeuille en produisant en masse à moindre coût. Restait à convaincre la bourgeoisie dans son ensemble de glisser de la qualité au tout-venant. Ils cherchèrent et achetèrent les “locomotives” qu’il fallait pour faire la promotion de la facilité. Ainsi naquirent la “Jet-set” et ses appelants. Il ne s’agissait plus d’élever le peuple mais au contraire de le niveler au plus médiocre commun dénominateur en le flattant et en l’entretenant dans ce qu’il avait de plus bas. En parfaite collaboration, les compères eurent tôt fait d’inverser les valeurs, et pas seulement pour l’habillement. En toutes choses, le vulgaire se vend bien et ça rapporte gros. Mais, me diras-tu, les robes qui font rêver existent encore. C’est exact et elles sont toujours aussi rares et précieuses. Mais comme bien d’autres trésors de notre civilisation, elles ont changé de propriétaires… et ce sont désormais nos peuples qui portent des hardes. »

Petite méthode facile pour ne pas cultiver la culpabilité (et faire l’économie d’un psychanalyste)

En général, je ne me sens coupable de presque rien. S’il m’arrive d’avoir un doute, je considère la question selon mes propres critères et les valeurs que je reconnais justes. S’il advient que j’aie volontairement et en personne, par action ou par omission, causé quelque tort à quelqu’un, et si ce tort est réparable, je m’efforce de réparer. Dans tous les autres cas, je passe à autre chose. Cela me permet de voyager léger et où je le souhaite, et de ne pas encombrer les divans des psychanalystes, au grand dam de leurs comptables.

Aussi est-ce l’esprit libre que j’ai eu le plaisir d’aborder le déboulonnage de Freud et la mise en lumière de ses multiples supercheries par le philosophe1 Michel Onfray dans son livre Le crépuscule d’une idole – L’affabulation freudienne2; une étude solidement documentée qui n’a pas manqué de focaliser l’ire de tous les héritiers réels ou putatifs de la chère idole, d’une flopée de bavards hertziens et des habituels aigrefins qui, dans le sillage du «chamane viennois», font commerce de culpabiliser nos peuples.

Quand le bandeau se transforme en œillères

5 octobre: la sentence est tombée, propulsant le courtier Jérôme Kerviel au rang de champion français de la réparation pénale, puisque le voilà condamné – outre cinq années de prison dont trois ferme – à verser à son employeur, la Société Générale, pas tout à fait cinq milliards d’euros au titre de dommages et intérêts. Nous écrivions dans ces pages, en janvier 19993, qu’en matière de justice, plus que du glaive, c’était du bandeau qu’il fallait se méfier… En France, le bandeau a dû se muer en œillères pour que des juges aient la naïveté de croire qu’une banque comme la Société Générale aurait tout ignoré des farces boursières que lui jouait quotidiennement, des mois durant, son employé.

Quiconque a travaillé dans une banque de pays à peu près civilisé sait que celle-ci est nécessairement informée chaque soir des mouvements d’écritures et des volumes traités durant la journée, qui sont sa raison d’être; que depuis l’abandon du boulier pour le clavier informatique, les systèmes regorgent de «drapeaux» prévus pour s’agiter frénétiquement sitôt qu’un employé fait mine d’esquisser des acrobaties en flirtant avec les limites qui lui sont imposées, et de sifflets qui stridulent dès que quiconque s’avise de soulever le capot cybernétique pour aller un peu bidouiller les programmes.

Quiconque a travaillé dans de tels établissements sait par contre que, trop souvent, au dernier étage, la soif de performances prime la prudence, qu’on secoue les fauteuils d’en bas pour pousser au rendement et que, «tant que le petit fait du chiffre…», on ferme les yeux… même si, dans la salle du conseil, les «maîtres de la finance», largués par les nouvelles techniques, peinent à comprendre les martingales du petit en question. Au demeurant, s’il advient que les marchés dérivés… partent à la dérive, lorsque la bulle éclate, c’est tellement facile pour les ânes directoriaux de braire en cœur «haro sur le baudet» !

Dans cette partie de poker menteur, en calculant les mensualités de la note qui lui reste à régler4, le jeune Jérôme Kerviel, enfant prodige5 déchu, joueur aux doigts brisés, pourra toujours se dire qu’il a payé pour voir.

Ce monde vers lequel nous courons (gentils lemmings et super-radars)

Dans nos démocraties occidentales, les zélotes de la sécurité routière sont en extase et les grands argentiers en pleine béatitude: à Genève, ils ont l’arme absolue. Il s’agit d’une sorte de monstre électronique capable de saisir simultanément à peu près tout ce qui se peut commettre en matière d’infractions à la loi sur la circulation routière, par tout ce qui porte pneus et plaques de police, en tout point du rayon d’action de son œil glacial de cyclope métallique.

Il sera dit que, venus au monde dans un espace de liberté, nous laisserons derrière nous un enfer de délation, où tout ce qui n’aura pas été interdit aura été rendu obligatoire.

Quant à moi, j’envisage une prochaine réincarnation sur Alpha du Centaure… Je finis mes valises et…

…salut les lemmings !

Max l’Impertinent

__________________

1 Il existe donc encore un philosophe en France.

2 Chez Grasset, ISBN : 978-2-246-7693-6.

3 Symboles, Le Pamphlet n° 281, p. 2.

4 Et dont on veut pouvoir croire qu’elle n’a pas été un peu gonflée…

5 Les myopes de Wall Street les appellent «Wonder kids».

Thèmes associés: Ethique - Humeur

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