Hautes élites et bas peuple réunis dans une même inconsistance
La lecture des articles de presse n’est pas très intéressante, de nos jours, tant les journalistes baignent dans le conformisme le plus prévisible et le plus ennuyeux, que ce soit à propos de Trump et de Poutine, des Etats-Unis et de la Russie, de la Chine et des Chinois, des Ouïgours (pour lesquels nous devons nous mobiliser) et des Alaouites (dont on est juste un peu désolé qu’ils se fassent massacrer par nos nouveaux amis), des changements climatiques (de plus en plus visibles) et de la mobilité douce (tellement bénéfique), des inégalités (criantes) et des luttes sociales (vaillantes), de l’armée (dépassée) et de la police (raciste), de l’économie (qui asservit) et de la culture (qui libère), des gentils (grands et beaux) et des méchants (laids et fourbes). On croirait lire la Pravda d’autrefois, avec cette différence vertigineuse qu’il n’y a, dans la version actuelle, plus aucun régime politique structuré pour décider ce qui doit, ne doit pas, peut ou ne peut pas être écrit. Nous sommes face à une forme de conformisme spontané, vaguement aligné sur les thèses de quelques microcosmes universitaires autogérés. Outre la restitution lisse et insipide de la pensée dominante, la principale préoccupation de la presse est d’entretenir des émotions addictives chez son public, en suscitant tour à tour l’indignation, la haine, la jalousie, l’inquiétude, l’admiration, la pâmoison – tout ce qui donne aux journalistes l’impression de vivre de grandes aventures, et aux annonceurs l’espoir de maintenir le canard en vie.
Ce qui change surtout, par rapport à la Pravda d’autrefois, c’est la possibilité offerte aux lecteurs (et aux quidams faisant semblant de lire) d’interagir en ligne, d’exprimer leur approbation ou leur désaccord, de donner leur avis et de commenter ceux des autres, de liker ou de disliker en cliquant sur des pictogrammes de pouces vers le haut ou vers le bas, ou en sélectionnant des qualificatifs parmi une liste très rudimentaire.
Nous déplorons la fascinante inutilité des commentaires qui se répandent ainsi sous chaque article de presse, leur insondable vacuité intellectuelle, la misère affligeante de leur syntaxe et de leur orthographe. Et pourtant, nous les lisons, assez régulièrement, dans l’espoir qu’ils nous renseignent davantage sur l’état du monde que les articles sans substance qui les précèdent. Que pensent nos concitoyens? Sont-ils acquis à toutes les idées à la mode ou font-ils encore preuve de sens critique? Sont-ils plutôt idéologues ou réalistes? Bellicistes ou pacifistes? Etatistes ou libertaires? Vont-ils voter pour ou contre une diminution de 30% de la redevance radio-TV? Pour ou contre une diminution de 12% de l’impôt cantonal vaudois? Les espaces de commentaires sur internet n’équivalent certes pas à des sondages sérieux, mais de par leur nombre et leur répétition, ils devraient tout de même révéler quelque chose de notre société.
Hélas, c’est peine perdue. D’un article à l’autre, les opinions, ou les simples réflexes pavloviens qui en tiennent lieu, partent dans des directions diamétralement opposées. Un jour on trouve une majorité de fieffés réactionnaires, le lendemain une majorité de bien-pensants et de conformistes. Les mêmes commentateurs tapent tantôt à droite, tantôt à gauche. Les mêmes commentaires sont d’abord applaudis, puis honnis quelques lignes plus bas; ou l’inverse. La foule ne va dans aucune direction; elle n’a aucune colonne vertébrale; elle n’exprime aucune tendance identifiable ni aucune forme de pensée – tout au plus une forte dose de bêtise et de méchanceté. Et ceux qui exaltent le peuple, sa sagesse et son bon sens, en opposition aux élites dévoyées et corrompues, se fourrent le doigt dans l’œil.
En fait, tout cela dit bel et bien quelque chose de notre société: celle-ci se rapproche dangereusement du néant.
Pollux