La fin des cellules grises

Il y a quelques semaines, alors que la pose d’une nouvelle couche de bitume avait lieu de nuit sur un tronçon de route en ville de Lausanne, on pouvait voir un agent de sécurité privé obliger les automobilistes arrivant sur un carrefour à faire demi-tour, tandis qu’un de ses collègues regardait placidement passer les voitures qui arrivaient sur ce même carrefour depuis une autre rue. On avait beau observer, réfléchir, supputer: la fermeture d’un seul des deux accès était totalement et rigoureusement illogique.

Pour rester dans le domaine de la circulation routière, on observe souvent un même manque de logique dans la programmation de la signalisation lumineuse: la régulation de certains carrefours est réalisée, en tout ou partie, à rebours du bon sens. On ne parle pas ici des gens qui se plaignent sans réfléchir lorsque leur feu n’est pas vert au moment où ils arrivent, mais bien du fait que, du point de vue d’un observateur neutre, certains temps d’attente sont objectivement dépourvus de raison. La volonté écolo-gauchisante de gêner le trafic automobile privé ne suffit pas à fournir une explication pertinente, puisque les piétons eux aussi font fréquemment les frais de telles absurdités.

D’une manière plus générale, la programmation des ordinateurs est un domaine où se manifeste le manque d’intelligence dont souffre une grande partie de notre société: nous avons de bons programmeurs capables de faire exactement ce qu’il faut pour que l’ordinateur fasse exactement ce qu’ils veulent lui faire faire… mais ils ont en revanche bien de la peine à concevoir intelligemment ce qu’ils veulent lui faire faire.

Dans un registre plus trivial, et sans vouloir allonger ici l’énumération potentiellement infinie des témoignages de la défaillance de la logique humaine, on mentionnera telle ingénieuse porte de toilettes montée sur un système sophistiqué lui permettant de pivoter quasiment sur elle-même – et donc de se projeter violemment dans le visage de celui qui tente de l’ouvrir, ou alors de se bloquer au moindre léger dérèglement du mécanisme… – alors qu’aucune restriction de place ni aucun autre motif n’empêchait d’installer une porte «normale». Ou encore tel distributeur d’essuie-mains dont on n’obtient rien sans une solide boîte à outils et beaucoup de patience.

«Faites travailler vos petites cellules grises!», disait le détective Hercule Poirot (excellemment interprété par David Suchet à la télévision), qui trouvait insupportablement irritant de constater ce genre d’absurdités. Mais à part lui et l’auteur de la présente contribution, qui réagit encore à ces petits détails? Qui s’énerve encore en remettant un tableau droit, en alignant minutieusement les objets présents sur un bureau ou en détortillant un cordon de téléphone? On ne commence à s’inquiéter que lorsqu’il s’agit de grosses, de très grosses âneries, et qu’il est déjà trop tard, comme avec le calamiteux vote de septembre dernier sur l’école vaudoise, qui achèvera la stérilisation intellectuelle des futures générations d’enfants et produira des cohortes de «spécialistes bardés de diplômes» incapables de mener à terme un raisonnement logique élémentaire.

Les partisans du «progrès» scolaire prétendent apprendre aux élèves à penser par eux-mêmes, à avoir une tête bien faite plutôt qu’une tête bien pleine. On voit ce qu’il en est: nous vivons désormais au milieu de gens non seulement ignorants mais aussi bêtes, inaptes à raisonner intelligemment, tant dans les petits détails de la vie quotidienne que dans les questions politiques importantes.

Pollux

Thèmes associés: Coups de griffe - Humeur

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