L’armée suisse? mais pour quoi faire?

On se gausse volontiers aujourd’hui des formes modernes de la guerre, on «assymétrise» l’armée israélienne avec le Hezbollah, on «dyssimétrise» l’armée américaine avec celle de Saddam Hussein. C’est une façon triviale pour expliquer ce que l’on savait depuis la nuit des temps. On cherche par ce biais à comprendre pourquoi avec un gros marteau on n’arrive pas à tuer la mouche.

L’éclairage qui se porte sur les conflits régionaux actuels anime les commentaires des spécialistes et des politiciens. Mais au-delà des considérations sur les activités qualifiées de terroristes dans les conflits du Moyen-Orient ou d’Afghanistan, on peut être particulièrement intéressé sur les motivations qui animent les combattants qui s’opposent à la plus grande armée de la planète. Au risque de surprendre, d’un point de vue neutre, il est assez extraordinaire de relever la féroce volonté de défense, ou d’agression qui anime ces combattants. Certes ces «terroristes» ont une tout autre conception de la société et de la vie mais admettons que leur lutte totale pour affronter la super technologie mérite l’analyse.

Avec des moyens rudimentaires, très maître du terrain dans lequel ils évoluent, ils savent se cacher dans les grottes fortifiées de leurs montagnes, utiliser les populations desquelles ils sont d’ailleurs issus. Les drones, les missiles de croisières, les appareils de vision nocturne, les communications satellitaires, les centres de commandement équipés avec des moyens permettant de suivre en temps réel les unités évoluant dans le terrain, restent visiblement inefficaces. Pire, ces derniers temps ils sont venus «chatouiller» leur ennemi jusqu’au centre de Kaboul.

Assurément l’une des caractéristiques de ces moudjahidin est leur volonté de combattre.

En lisant les auteurs qui analysent le temps de la guerre froide, on peut relever, que la Suisse a aussi été dans la position d’un «faible» par rapport aux armées l’entourant. Pourtant elle a toujours été considérée comme un élément fort dans le contournement possible du dispositif occidental de l’OTAN.

En fait on reconnaissait, à cette époque-là que l’état de préparation et la volonté de défense qui se dégageait du pays contrebalançait cette infériorité. On parlait de dissuasion. Le fait que chaque citoyen disposait d’une arme à domicile, avec de la munition, son équipement et qu’il devait s’affranchir d’un entrainement régulier a caractérisé cette volonté de défense. Dans le pays, cela «faisait consensus» bien que les partis de gauche aient sans arrêt contribué à le critiquer.

Des faits concomitants

Depuis la disparition du bloc du Pacte de Varsovie et la transformation de l’URSS en Union des Etats, de nombreux faits simultanés nous ont conduits à la situation actuelle de l’armée. Le moins qu’on puisse dire est qu’elle n’est pas exactement celle que le citoyen moyen que nous sommes, se figure.

Il est vrai que la menace qui a prévalu depuis la fin de la deuxième guerre mondiale a disparu et avec elle le risque d’une conflagration européenne. Dans le même temps et issu de cet esprit typiquement suisse qui ressort d’ailleurs assez du fondement même de la milice, l’armée a été réduite. Au moment du danger, on sort les armes; mais en temps de paix on laisse rouiller la hallebarde dans la grange, on l’oublie même…

Les vœux de la plupart des entrepreneurs suisses de ne plus devoir supporter l’effort de défense par le départ des collaborateurs effectuant leur cours de répétition, a contribué à cette évolution. Ces chefs d’entreprise prétendaient souffrir d’un manque de compétitivité par rapport aux pays étranger dont la plupart ont d’ailleurs renoncé à la conscription de leurs jeunes citoyens. De plus, plusieurs sociétés suisses ont été reprises par des entrepreneurs étrangers qui ne connaissent pas l’histoire du pays et qui ignorent ce que peut leur apporter un cadre de l’armée suisse au sein de leur entreprise. La Suisse est un pays tranquille, on peut y faire du bon business et c’est tout…

L’état des finances fédérales a également poussé le gouvernement et les Chambres fédérales à sabrer dans leurs budgets. Evidemment celui de la défense n’y a pas échappé, c’est le département qui a subi les plus fortes contraintes. Ces coupes ont largement présidé aux concepts «A95», «21» et «08/11». Il s’en est suivi une réduction très importante des effectifs et de l’abandon des points forts du pays. On a démantelé les fortifications qui barraient l’entrée des Alpes. Ce fut peut être le signe le plus démonstratif du renoncement au concept du «réduit national» qui épargna la Suisse de 1939 à 1945. Les classes d’âge au-delà de 34 ans ont été supprimées.

Ces réformes mettaient hors jeu, du même coup, tous ceux qui ont fait la «Grande armée».

Attention, il n’est pas dans ce propos de revenir à l’armée de grand-papa, de reprendre les vareuses gris-vert qui vous râpent le cou et les jambes. Non, il est simplement stupide de couler l’ancien navire et avec lui ses moussaillons sous prétexte qu’on a trouvé mieux et plus efficace.

De fait, il n’est pas rare de rencontrer des anciens militaires qui ont façonné l’armée de la dissuasion, renoncer à prendre position tellement leur déception est grande, leur dégoût de voir des millions d’heures de travail et d’efforts disparaître de la sorte et même de s’entendre dire par l’ancien chef du département de la défense qu’ils jouaient à se faire peur.

D’ailleurs le renoncement de ces points forts – les fortifications - qu’on avait laissé se démoder, n’a jamais eu de justification militaire. C’est une raison politique qui a été à l’origine de cet abandon. Un motif financier qui permettait du même coup de démontrer à nos pays amis que la Suisse n’est plus entourée de nations belliqueuses. C’est aussi enlever cette mauvaise idée du hérisson qui avait tendance à sommeiller dans la tête des gens et les préparer à la généreuse ouverture à l’étranger, à l’ONU, à l’Union Européenne (qu’on finira bien par rejoindre), à l’accueil de tous les citoyens du monde. Cela pourrait aussi laisser accroire que les conclusions du Congrès de Vienne de 1815 sont devenues caduques.

On a aussi basé la nouvelle stratégie sur un rapport (RAPOL) qui décrivait une situation parfaitement stabilisée en Europe avec une nouvelle position de la Suisse entourée de pays «amis». Ce constat s’est aussi efforcé d’effacer la menace militaire pour une période d’au moins 20 ans.

Dix ans plus tard, on débouche sur un constat mitigé et un concept de sécurité en Suisse qui est devenu flou et sans consensus. L’esprit qui sous-tendait le comportement des citoyens avant les années 90 a disparu.

Les réductions ont manifestement affecté la capacité de défense du pays. L’abandon de systèmes d’armes a contraint les militaires à limiter les missions voire à les abandonner. De plus, si l’on considère cette absurde mission de protection des ambassades, on s’aperçoit que les effectifs d’infanterie sont devenus tellement insuffisant qu’il faut contraindre des soldats d’armes spécialisées à combler les trous. Ces artilleurs, pionniers ou tankistes oublient par voie de conséquence la maîtrise de leurs moyens. Cela fait dire à d’autres que décidément l’armée de milice est incapable de s’accommoder des moyens modernes et qu’il nous faut une armée de métier.

Ces réformes ont aussi, et c’est certainement plus grave, porté un sérieux coup à l’esprit confédéral. Celui qui unit les citoyens de la Confédération. Très directement parce que la durée des services s’est écourtée, parce que le pourcentage des conscrits a aussi sensiblement diminué. Le mélange social de gens de mentalités et de conditions diverses s’est amenuisé. L’abandon des cours de répétition occupant les villages ne permet plus aux unités de se mélanger aux habitants d’autres cantons. Les corps de troupe ont fait les frais de ces réductions en déstabilisant complètement les répartitions linguistiques. La rudesse dans le traitement des instructeurs, leurs temps de travail excessifs et leur condition sociale ont contribué à réduire la qualité et leurs compétences à former des soldats d’expression française ou italienne, et à intégrer les suisses alémaniques, romands et tessinois dans une marche de service bien cadrée et professionnelle.

Jusqu’où risque-t-on d’aller? Jusqu’à un profil de 50'000 hommes? Jusqu’à un effectif qui permettrait de se débarrasser des miliciens pour entretenir une formation genre «police-armée» comme on le voit à Monaco ou au Luxembourg?

Quoi, maintenant?

Il faut maintenant plaider pour un gel des réformes et des réductions. L’image de la menace doit être revu complètement. L’image terroriste est simpliste et plus l’affaire de la police et des services secrets. La coopération avec les forces étrangères ne cesser de violer la notion de neutralité qui a permis à notre pays de se placer de façon efficace dans des négociations entre pays belligérants.

L’engagement de l’armée à l’étranger comme ceux que propose le mouvement de Promotion pour la paix nous met en contact avec des pays en guerre et du même coup en contradiction avec les principes les plus élémentaires d’un pays réellement neutre.

Les grands écarts de la doctrine militaire suisse qui va des engagements subsidiaires, en passant par la promotion pour la paix, les opérations de sûreté sectorielles et enfin de sauvegarde des conditions d’existence, doivent laisser place à des schémas plus simples. L’armée est tout d’abord le moyen ultime de protection de nos valeurs démocratiques et n’a que faire des missions d’Euro 2008, de courses de ski et de conférences WEF. Les péripéties mondiales actuelles, les tendances protectionnistes européennes, le basculement de majorités et de composition de gouvernements, le déversement continuel de réfugiés sur les côtes septentrionales de la Méditerrannée, les luttes sur les réseaux d’information, les menaces sur notre indépendance économique bancaire et fiscale et la montée généralisée de la violence devrait nous donner quelques axes de réflexion sur ce que doit faire l’armée. La situation internationale européenne est devenue dangereuse, non pas à cause d’une menace identifiée, mais bien plus à cause de l’incertitude dans laquelle nous sommes plongés. Tout est devenu possible, absolument tout. Qui avait prévu l’attaque du 11 septembre 2001? Qui avait prévu le conflit géorgien? Qui avait prévu la crise financière mondiale? Personne!

Entretenir une armée ne s’improvise pas. Cela demande de l’entraînement, des sacrifices, des efforts tant financiers qu’humains. Le passé récent a aussi prouvé que l’acquisition d’équipements et d’armement en période de tension est impossible ou très difficile. Se débarrasser des chars lance-mines comme cela vient de se faire ou de ne plus disposer d’armes anti-chars d’infanterie à moyenne portée n’ont pas été les décisions les plus adéquates.

Ce n’est pas quand la maison va brûler que le conseil communal se réunira pour décider un crédit pour l’achat d’un camion de pompiers. Il sera trop tard.

Il incombe donc à l’autorité politique et aux représentants du peuple à quelque niveau qu’ils soient de prendre en compte ces préoccupations quitte à mettre en deuxième priorité des projets de loi touchant aux patronymes, ou de disserter sur la vie en commun des cochons d’Inde ou des poissons rouges dans la cadre de la récente loi sur les animaux.

Il incombe d’abord aux autorités de s’occuper de la cohésion humaine entre les citoyens du pays, de soigner le tissu social et associatif et de prendre garde aux énergies centrifuges. Il incombe enfin aux autorités fédérales et cantonales de ne pas abandonner le concept de l’armée de milice soit en se débarrassant du problème (suppression des départements miliaires dans les cantons) soit en appelant les gens à faire des services longs (appel pour proposer aux militaires de signer un contrat pour un service unique supprimant de ce fait l’appel aux cours de répétition) ou en payant la vingtaine de «super-militaires-commandos» qu’on veut, accessoirement, envoyer protéger les bateaux battant pavillon suisse passant au large de la Somalie.

Il incombe également aux Etats-Majors militaires de travailler en détail les conséquences des réductions d’effectifs et de les mettre en opposition avec des scénarios de menace possible et modernes. De préserver, s’il est encore possible de le faire, toutes les options imaginables. D’alarmer, s’il y a lieu les décideurs des déficiences de nos planifications et des infractions au maintien du secret (?!?). De présenter des études soigneuses et exhaustives en s’abstenant de s’inspirer uniquement de leurs mentors qu’ils visitent à la base de l’armée américaine à Stuttgart.

On l’aura compris: la technologie moderne n’est rien si derrière, l’homme, n’a pas la volonté de se défendre ou, pour être en phase avec la terminologie actuelle, la volonté de «préserver ses conditions d’existence».

Hélas, nul n’est prophète dans son pays. Merci à ces messieurs du fin fond des vallées de l’Afghanistan pour leur «amical» rappel.

NOTES:

Note de la rédaction:

Le texte qui précède est la version intégrale de l’article de notre collaborateur occasionnel François Villard. Pour le journal imprimé, nous avons dû procéder à plusieurs coupures, qui n’altéraient pas le sens de l’ensemble mais qui permettaient la publication en une seule fois d’un texte trop abondant pour nos impératifs.

Cet article a été vu 3663 fois

Recherche des articles

:

Recherche des éditions