Editorial

La définition du délit d’initié, telle qu’elle est exposée à l’article 161 du Code pénal sous le titre marginal Exploitation de la connaissance de faits confidentiels, est limitée de manière telle qu’elle ne peut s’appliquer au coup de M. Philipp Hildebrand, ancien dirigeant de la Banque nationale suisse, sur le marché des devises. Cet article punit celui qui «aura obtenu pour lui-même ou pour un tiers un avantage pécuniaire, soit en exploitant la connaissance qu’il a d’un fait confidentiel dont il est prévisible que la divulgation exerce une influence notable sur le cours d’actions, d’autres titres ou effets comptables correspondants de la société ou sur le cours d’options sur de tels titres, négociés en bourse ou avant bourse suisse, soit en portant un tel fait à la connaissance d’un tiers».

Plusieurs commentateurs ont clairement montré qu’ils regrettaient l’impunité dont allait bénéficier M. Hildebrand sur le plan pénal et ont manifesté leur stupéfaction devant cette incompréhensible lacunede la loi.

Si le législateur avait étendu la définition du délit, non pas au cours des actions de la société, mais également au cours des monnaies, cette extension n’aurait pu s’appliquer, évidemment, qu’aux dirigeants de la BNS, cette dernière étant la seule société de Suisse dont les décisions sont susceptibles d’influer directement sur le cours des devises.

On a heureusement renoncé à cette précision, en jugeant – à tort semble-t-il – que le président de l’institut d’émission, au salaire deux fois plus élevé que celui d’un conseiller fédéral, ne risquait pas la tentation d’une opération boursière d’initié.

Ceux qui ont choisi M. Philipp Hildebrand pour diriger la BNS ont été aveuglés par ses compétences économiques et financières, réelles ou supposées, et ne se sont pas préoccupés de contrôler si ce candidat avait des notions de déontologie.

Déontologie

Curieusement, ce terme n’apparaît jamais dans les commentaires que j’ai lus sur l’affaire, comme s’il était inconnu ou si la notion même de devoir (το δεον) était insupportable aux journalistes.

La FMH a un Code de déontologie.  La Société vaudoise de médecine a une Commission de déontologie de sept membres, qui vient de suspendre pour deux ans le Dr Bogousslavsky, le bibliomane qui a défrayé la chronique il y a quelques années.

La Fédération suisse des avocats a aussi édicté un Code de déontologie, dont les articles 11 et suivants traitent des conflits d’intérêts.

Ce qui fait l’originalité du cas Hildebrand, c’est qu’il n’y a pas eu le moindre conflit d’intérêts entre ceux de la Banque nationale, ou ceux de la Confédération, et ceux de la famille Hildebrand. L’achat de dollars par la charmante épouse américaine du président, approuvé ou non par le mari, aurait permis à Madame Hildebrand un profit coquet sans que ni la Suisse ni la BNS ne perdent un seul centime! Alors, de quoi se plaint-on?

On se plaint parce que le plus illustre de nos grands commis en matière financière n’a pas su comprendre qu’il y a des choses qui ne se font pas, qui ne sont pas convenables même si elles ne constituent pas un délit, et même s’il n’existe pas, à proprement parler, de conflit d’intérêts.

Hélas, la notion même de ce qui se fait et de ce qui ne devrait pas se faire s’estompe, même dans les plus hautes sphères de la politique.

Il n’est pas convenable qu’un président de la République passe ses vacances invité par un industriel sur son yacht. Il n’est pas convenable qu’une ministre d’Etat voyage dans un avion privé aux frais d’un homme d’affaires tunisien. Il n’était pas convenable que les membres du conseil d’administration de la CPT reçoivent des honoraires de mandataires pour des prestations déjà rétribuées par leurs honoraires fixes d’administrateurs.

Mais il n’est pas convenable non plus, et cette faute de goût me paraît plus grave encore que la petite spéculation de Kashya, que le couple Hildebrand n’ait déclaré pour 2009 qu’un revenu imposable de 96'000 francs alors même que le salaire du président de la BNS dépassait les 830'000 francs. Il y a paraît-il des trucs parfaitement légaux pour «optimiser son imposition fiscale». Tant mieux pour ceux qui ont les moyens de s’offrir les honoraires d’un optimisateur. Mais lorsqu’on gagne en un mois ce que plus des deux tiers des Suisses ne gagnent pas en un an et qu’on est un homme public, on devrait payer les impôts qui correspondent à ses revenus. Cela fait partie de la déontologie.

Claude Paschoud

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