Proche-Orient: deux avis: La fin de l’Etat d’Israël?

Le récent conflit de Gaza a suscité des réactions et des commentaires passionnés aussi bien des amis d’Israël que des défenseurs du peuple palestinien.

Depuis sa création, mais principalement depuis la Guerre des Six jours, l’Etat d’Israël a bénéficié, en Suisse, d’un capital de sympathie fondé sur plusieurs facteurs, parmi lesquels une certaine parenté de taille (la surface du territoire israélien est environ la moitié de la surface de la Suisse, mais le nombre des habitants des deux pays est quasiment le même) et une parenté certaine quant à la volonté de se défendre par les armes contre tout adversaire menaçant l’intégrité de son territoire.

Mais plus les années ont passé et plus ce capital de sympathie s’est érodé. Les attaques inouïes des financiers new-yorkais contre notre pays et la récente campagne Plomb fondu dans la bande de Gaza, où des centaines de civils palestiniens ont trouvé la mort, ou ont été grièvement blessés et mutilés, ont sérieusement refroidi l’amitié des goyim helvétiques et ont même provoqué des réactions indignées de la communauté internationale.

Israël, financièrement, diplomatiquement, militairement soutenu par les Etats-Unis d’Amérique, a pu jusqu’à aujourd’hui se moquer comme de colin-tampon des critiques des défenseurs des droits de l’homme et des résolutions de l’ONU. Malgré ses sympathies pour l’Islam, rien n’indique pour l’instant que le président Barak Obama soit sur le point de modifier la politique pro-israélienne de son prédécesseur. On sent pourtant que les ruines de la bande de Gaza, les enfants déchiquetés, et la disproportion même dans le nombre des victimes font pencher la balance de la sympathie dans l’autre sens.

Il y a toujours les amis inconditionnels d’Israël, qui considèrent le Hamas comme une organisation terroriste1 et les actions militaires de l’armée israélienne comme des opérations de légitime défense. Les commentateurs juifs sont évidemment du nombre, à quelques remarquables exceptions près. Mais bien des chrétiens sont aussi membres du fans’club.

Parmi eux, je cite M. Philippe Barraud (www.commentaires.com) et les rédacteurs de la Nation, organe de la Ligue vaudoise.

Dans sa livraison du 16 janvier2, M. Nicolas de Araujo écrit: «A notre avis, la seule attitude cohérente que pourraient adopter les critiques d’Israël (mais personne n’ose l’assumer), c’est de dire que cet Etat n’a aucune légitimité, les Juifs n’ayant aucun droit à avoir un Etat en Palestine, et que dès lors, quoi qu’Israël fasse, ses actions sont immorales et condamnables. Puisqu’il n’a pas moralement le droit d’exister, il n’a pas non plus le droit de se défendre. Du moment, au contraire, que l’on reconnaît l’existence d’Israël en tant qu’Etat – ce qui n’implique pas l’approbation du projet sioniste –, il faut lui reconnaître le droit de se défendre».

Quinze jours plus tard, M. Olivier Delacrétaz consacrait son éditorial3 aux manifestations en faveur des Palestiniens. Commentant un tract qui proclame: «Nous refusons qu’un Etat qui foule aux pieds depuis plus de 60 ans la légalité internationale et qui, par sa pratique continue du terrorisme tout au long de son histoire, s’est mis lui-même au ban des nations, continue à faire régner impunément la terreur», l’éditorialiste écrit: «Ces groupes, collectifs et mouvements sont-ils conscients de ce que ce texte signifie, et sont-ils prêts à soutenir les actions concrètes qu’il implique? Soixante ans, cela nous ramène à la création de l’Etat moderne d’Israël. Cela signifie que c’est l’Etat d’Israël comme tel qui est illégitime, non son régime, non son gouvernement actuel, non le commandement militaire, mais son existence même. L’Etat d’Israël est de soi et dès l’origine un acte de terrorisme…»

Les rédacteurs de notre (généralement) excellent confrère ne se trompent pas, et c’est bien de cela qu’il s’agit: c’est incontestablement l’existence même de l’Etat d’Israël qui a créé, il y a soixante ans, une situation de crise permanente au Proche-Orient, qui n’a jamais cessé depuis lors. Soixante ans – et plus – d’attentats terroristes4, de combats, d’insécurité, de bombardements, de tirs de roquettes, de territoires conquis, de populations chassées et humiliées. Soixante ans de vaines résolutions de l’ONU, de tentatives diplomatiques, de cessez-le-feu précaires, de reprises des hostilités, de condamnations internationales inutiles, de propositions de bons offices sans lendemain.

N’est-il pas temps de reconnaître l’échec de ce beau rêve? L’histoire est remplie de fusions, d’absorptions, de disparitions de communes, de provinces ou d’Etats.

Les conditions dans lesquelles a été créé l’Etat d’Israël contenaient les raisons de son échec, qu’il serait sage de reconnaître aujourd’hui. Constitué sur une terre qui n’était que de façon mythique celle de ses ancêtres, sur un territoire qui a été proprement volé à ses occupants, l’Etat d’Israël n’a pu subsister si longtemps qu’au prix d’une perfusion financière permanente des Eats-Unis, de l’Allemagne et des juifs de la diaspora, et au prix d’une guerre permanente avec ses voisins, dont il assume la responsabilité prépondérante.

Israël n’a pas plus le droit d’exister sous forme d’Etat indépendant que la Savoie, l’Anjou, le Kosovo ou l’Ossétie du Sud.

Ceux qui plaident pour la disparition d’Israël, comme le président iranien par exemple, n’entendent pas que ses habitants devraient être tués ou même chassés. Ils disent que si Israël était une entreprise, ses actionnaires auraient depuis longtemps cessé d’y injecter de nouvelles augmentations de capital, surtout en considérant l’hostilité généralisée que cette firme suscite autour d’elle. La liquidation de l’entreprise n’implique pas qu’on passe par les armes le conseil d’administration ni les associés. Il faut pourtant que l’échec soit dûment constaté, et que les bailleurs de fonds ferment le robinet: plus d’aide financière, plus de crédits ouverts, plus de matériel technique ou militaire, plus de subventions internationales.

Si l’Etat est capable de maintenir son indépendance dans ces nouvelles conditions, comme les vieux Suisses ont gagné la leur, à l’époque, et ont su la maintenir jusqu’à aujourd’hui, alors Israël aura gagné une légitimité nouvelle car ni la Palestine ni l’Egypte ni la Syrie ni la Jordanie ni le Liban n’ont droit non plus à l’intangibilité de leur territoire.

S’il n’est pas capable, par ses seules forces, de se maintenir comme Etat indépendant, il sera intégré à un autre, et disparaîtra en tant qu’Etat. Il sera alors enfin possible de construire la paix au Moyen-Orient.

NOTES:

1) Ce sont souvent les mêmes qui s’indignent des attentats commis par les patriotes palestiniens contre l’occupant qui glorifient les attentats commis jadis par la Résistance française contre l’occupant.

2) La Nation N° 1854 du 16 janvier 2009, p. 3

3) La Nation N° 1855 du 30 janvier 2009, p. 1

4) Il est piquant d’entendre les amis d’Israël condamner les «attentats terroristes»… des autres, alors même que l’organisation terroriste Irgun, qui organisa des vagues d’attentats contre les Anglais et contre les civils palestiniens, de 1937 à mai 1948, non seulement n’a jamais été jugée pour ses crimes, mais son chef, Menahem Begin, a été nommé premier ministre d’Israël.

Cet article a été vu 3667 fois

Recherche des articles

:

Recherche des éditions