Tourisme de masse

Il existe des Russes charmants, cultivés, bien éduqués, dont la compagnie promet d’exquis échanges, autour d’un flacon de Corton-Charlemagne, sur la confrontation des styles de Lermontov et de Flaubert, une analyse comparée des opéras de Tchaikovski et de Massenet ou encore un parallèle entre le musée de l’Ermitage et celui du Louvre.

Ces Russes-là ne fréquentent pas les stations balnéaires du Sud-Est asiatique.

Non, les Russes qu’on y côtoie quotidiennement sont d'une complexion plus fruste, pour ne pas dire plus primitive. Issus sans doute de couches défavorisées de la société – ce qui doit donc nous incliner à la plus grande indulgence – il sont à la faune touristique tropicale du XXIe siècle ce que les bouchers-équarisseurs de Rungis devaient être aux villégiateurs des premiers congés payés du front populaire de 1936. La famille russe typique des bords de mers exotiques, que nous appellerons par convention les Bidochov, est constituée de la mère, du père et de deux enfants. Madame Bidochov promène une silhouette improbable mais obligatoirement massive, oscillant comme un tombereau de gélatine, ou plutôt de suif rose virant sur le rouge vif au fil des jours passés sur la rôtissoire qui lui permettra d'attester auprès de ses amies restées en ex-Union Soviétique du privilège qu’elle a eu, par rapport à elles, d’aggraver son cancer de la peau sur une plage d’Extrême-Orient. Notre babouchka enveloppe ses charmes hippopotamesques dans un ensemble de plage criard dont le tissu est de toute évidence impuissant à contenir l’adiposité débordante. Afin sans doute de souligner son exquise féminité aux yeux des ploucs qui n’en auraient pas d’emblée mesuré toute l’authenticité, elle a placé dans sa chevelure filasse un nœud d'une aveuglante vulgarité, aussi discret qu’une tête de cochon dans la devanture d'une boucherie kasher. M. Bidochov, quant à lui, ne le cède en rien à sa délicieuse épouse au chapitre des dimensions, des couleurs et du mauvais goût. Son statut de mâle le lui permettant, il arbore fièrement et sans couverture textile un torse flasque surplombant un quintal de saindoux porté avec peine par deux grêles gigots dépassant d'un short douteux que n’aurait pas renié le gros dégueulasse de Reiser. La progéniture est bien sûr à l’avenant, affichant des bouffissures qui inciteraient la moins futée des nutritionnistes occidentales à introduire une action en déchéance de l’autorité parentale.

Les Bidochov aiment à passer leur journée sur la plage, où leur présence polluante fait presque regretter, par contraste, une bonne marée noire. Ils y louent – la maigreur de leurs moyens détonnant avec l'opulence de leur stature – deux transatlantiques qu’ils occupent à tour de rôle. Disons plutôt que monsieur s’octroie autoritairement l’un d'eux d’où il ne décollera son impressionnant fessier que pour aller satisfaire un besoin urgent, et que madame ne cède le sien que pour s’allonger sur une natte afin d'exposer sa bidoche huilée aux dards de l’astre du jour. L'économie ainsi réalisée passe intégralement dans la commande de bières format maxi, qui constituent l’essentiel de leur alimentation balnéaire, les enfants jetant pour leur part leur dévolu sur des cocas tièdes dont la sucrosité permet d'entretenir leur profil. Les Bidochov ne parlent bien sûr pas un mot d’anglais: les commandes s’opèrent donc par le truchement d’onomatopées glapissantes et de gestes approximatifs, tout malentendu étant comme il se doit mis sur le compte de l’incommensurable sottise des autochtones. Le comportement, l’habillement, le physique et l'odeur des Bidochov constituant une offense caractérisée au bon goût et aux mœurs, voire à la paix civile, ils sont l'objet des regards réprobateurs de tous leurs voisins, ce dont ils n’ont cure, se souciant comme d'une guigne de leur environnement. Ils ne se départissent de leur expression bovine que pour accueillir bruyamment une famille congénère, les Popov. Mais la portée de ce nouveau fléau est relativement anodine: à l’apparition de la deuxième plaie d'Egypte, les représentants des nations évoluées ont déserté les lieux.

Il est juste d’ajouter que ces barbares des temps modernes ont une vertu qu’il faut savoir apprécier à sa juste valeur. Le soir venu, ils se regroupent dans des gargotes spécialisées qui préparent à leur intention leur tambouille favorite, et où ils peuvent grailler leur bortsch en évitant d’offusquer la vue, l’odorat et l’ouïe des populations civilisées.

Tempora mutantur: nos parents se plaignaient amèrement des hordes de vacanciers germaniques déferlant sur les lieux touristiques de la planète. Les nationalités changent, mais les calamités se perpétuent. L’élévation du niveau de vie des Chinois laisse présager un avenir radieux.

Macaroy

Thèmes associés: Coups de griffe - Facéties

Cet article a été vu 3506 fois

Recherche des articles

:

Recherche des éditions