Respect du droit

C’est une agréable surprise que le Tribunal administratif fédéral nous a procurée récemment1, en acceptant le recours d’un client du Crédit suisse, irrité que son nom puisse être livré au fisc américain en violation non seulement des obligations contractuelles de son banquier, mais aussi des accords internationaux de 19962

Ce n’est pas si fréquent que la justice manifeste ainsi son indépendance vis-à-vis de la politique et des puissances économiques.

Petit rappel des faits. Le fisc des Etats-Unis, persuadé que des citoyens américains ont placé des fonds discrets au Crédit suisse, adresse à la Confédération une requête d’assistance administrative, priant nos autorités de transmettre les noms (que le fisc américain ignore) des ayants droit économiques de comptes ouverts d’une certaine manière.

L’administration fédérale ordonne au Crédit suisse de fournir ces noms et le Crédit suisse obtempère. Il fournit cent huitante noms. Les services fédéraux informent les intéressés qu’on va les livrer et leur accorde un mois pour s’y opposer. Cent cinquante épargnants ne réagissent pas et leur identité sera transmise aux USA.

Trente épargnants s’y opposent et c’est le recours de l’un d’eux qui a été traité par le TAF la semaine passée.

Les juges ont vu que, selon l’accord de 1996, la demande concernait principalement des citoyens coupables non pas de fraude mais de soustraction d’impôt et qu’elle ne pouvait dès lors être satisfaite.

L’affaire est d’autant plus piquante que la Suisse a conclu un nouvel accord, le 19 août 2009, hélas approuvé par l’Assemblée fédérale le 17 juin 20103, qui gomme cette distinction et qui doit s’appliquer avec effet rétroactif ( !) dès qu’il sera approuvé par le Sénat américain, ce qui n’est pas encore le cas.

Je tire de cette affaire les enseignements suivants: nous sommes un très petit pays et nous devons donc être d’autant plus soucieux de respecter le droit que c’est le seul argument sérieux que nous puissions faire valoir contre les agressions des nations les plus puissantes.

Les services de la Confédération auraient dû constater eux-mêmes que la demande d’entraide administrative présentée par l’Internal Revenue Service américain n’était pas conforme aux accords de 1996 et refuser l’entraide.

Les identités de cent cinquante personnes ont été livrées par la Suisse illégalement. On me rétorquera que ces personnes ont eu l’occasion de recourir et qu’elles ne l’ont pas fait. Cet argument ne disculpe pas Mme Widmer-Schlumpf et ses services.

Je vois aussi que les clients qui avaient conclu avec le Crédit suisse un contrat de mandat, fondé sur la confiance, ont vu cette confiance trahie par un établissement bancaire si soucieux de pouvoir continuer ses affaires aux Etats-Unis qu’il n’a pas craint de vendre l’identité de cent quatre-vingts de ses propres clients contre une promesse d’impunité ou une garantie d’amende limitée…

Il n’est pas douteux que nos parlementaires fédéraux ont été soumis à une opération de lobbyisme appuyé pour leur faire adopter l’accord scandaleux du 19 août 2009, par lequel la Suisse se couche dès que l’Oncle Sam l’ordonne.

Le Parlement n’était pas tenu d’approuver un tel texte, qui profite principalement aux grandes banques et c’est d’ailleurs pourquoi il a été approuvé, car il a profité de l’appui des parlementaires bourgeois achetés par les banques par une place en leur conseil d’administration et des parlementaires de gauche désireux de faire payer les riches. Or, un contribuable américain qui place de l’argent en Suisse ne peut être qu’un riche.

Dès que le Sénat américain aura approuvé l’accord de 2009 (signé à Washington et rédigé en anglais…), la Suisse ne sera qu’une carpette sous les bottes de l’administration fiscale américaine, ou un brave toutou qui fait le beau sur commande.

Claude Paschoud

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1 Arrêt A-737/2012 du 5 avril 2012

2 RS 0.672.933.61

3 RS 0.672.933.612

Thèmes associés: Economie - Justice

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