On a toujours besoin de dénoncer un plus petit que soi

A la Vallée de Joux, des accusations anonymes de pédophilie ont été portées contre un habitant. D’abord dans un courrier signé d’«un parent» et paru dans la presse locale, ensuite par un graffiti peint en rouge contre la maison de la personne visée.

Assurément, le procédé est inélégant. Dans une société civilisée, on porte l’accusé devant un juge et on lui assure un procès équitable – ce qui ne signifie pas forcément clément! – au lieu de le livrer à une vindicte populaire exprimant plus souvent, hélas, la mesquinerie et la noirceur de l’âme humaine que la clairvoyance et la charité. Mais peut-être les juges d’aujourd’hui, s’ils exerçaient une justice plus proche du sentiment commun et moins orientée selon leurs a priori idéologiques, atténueraient-ils la tentation de la population de faire justice elle-même.

Ce qui nous a fait bondir, dans cette affaire, c’est de lire l’éditorial orgueilleusement moralisateur du rédacteur en chef d’un grand quotidien de la capitale, qui pointe du doigt non seulement le «corbeau» mais quasiment toute la Vallée, autorités et confrères compris:

(…) la calomnie ne figure pas parmi les moyens civilisés de rendre justice. Le dénonciateur n’est pas le seul à l’avoir oublié. Gabriel Gay, syndic de L’Abbaye (la commune où se sont déroulés les faits), rappelle à juste titre que la présomption d’innocence existe, mais se répand ensuite en considérations du genre «il n’y a pas de fumée sans feu, ici à la Vallée, on ne tague pas pour rien du tout». Comme défense du respect des lois, on a vu mieux. Mais que dire de la Feuille d’Avis de La Vallée de Joux, qui publie une «correspondance» anonyme et d’une violence inouïe, en se dédouanant de sa responsabilité par une phrase de deux lignes? Laisser s’exprimer n’importe quelle vendetta sans le moindre contrôle, c’est jouer avec le feu de la haine et de la rumeur. (…).

Il n’est pas exclu que la critique soit justifiée sur le fond. Mais quand on dirige un journal qui non seulement se plaît précisément à donner un large écho à cet événement et à l’exploiter en publiant article sur article, mais aussi se repaît ordinairement, comme beaucoup d’autres, de tout ce qui permet d’exciter les passions populaires, sans remords aucun d’orienter parfois la compréhension du lecteur ou de jeter l’opprobre sur telle personne ou telle institution, alors on balaie devant sa rédaction et on évite de regarder la paille qui est dans l’œil de son confrère.

Les mauvaises langues prétendent que, lorsque Jésus dit: «Que celui qui n'a jamais péché jette la première pierre!», un journaliste s’est empressé d’aller ramasser un gros caillou et de le lancer de toutes ses forces.

Pollux

Thèmes associés: Coups de griffe - Ethique

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