Projet de territoire suisse: une législation parallèle hors du contrôle parlementaire

PGBLe Pamphlet n° 419 Novembre 2012

C’est un simple communiqué du Département fédéral de l'environnement, des transports, de l'énergie et de la communication (DETEC), publié le 24 octobre, qui nous l’apprend: «Le Conseil fédéral a adopté durant sa séance d’aujourd’hui le Projet de territoire Suisse. Simultanément, il charge l’Administration fédérale d’appliquer le Projet de territoire suisse dans toutes ses activités futures à incidence territoriale.»

 

Mais qu’est-ce donc que ce «Projet de territoire suisse»? Ce même communiqué nous le rappelle: «Le Projet de territoire suisse offre un cadre d’orientation et une aide à la décision pour le développement futur du territoire aux trois niveaux de l’Etat. Il a été élaboré entre 2005 et 2012 par des représentants de la Confédération, des cantons, des villes et des communes. (…) Le Projet de territoire suisse comporte des objectifs et des stratégies (…). A la suite de l’adoption du Projet de territoire suisse, les trois niveaux de l’Etat seront invités à se référer au Projet de territoire dans leurs activités à incidence territoriale, par exemple lors de la planification et de l’aménagement des routes, des voies ferrées, des bâtiments,

des espaces de délassement de proximité, des infrastructures énergétiques, des domaines skiables et des parcs. Le Projet de territoire n’est pas une conception au sens de l’art. 13 de la loi sur l’aménagement du territoire et n’est donc pas juridiquement contraignant. Il mise

sur les mesures volontaires, le sens des responsabilités et des coopérations qui surmontent les barrières géographiques, politiques et institutionnelles. (…) La publication du Projet de territoire suisse est prévue en 2013 dès que toutes les organisations partenaires – Conseil fédéral, Association des communes suisses (ACS), Union des villes suisses (UVS), Conférence des gouvernements cantonaux (CdC) – l’auront approuvé.»

 

Un objet juridique non identifié

 

On nous pardonnera cette longue citation, mais tout y est! Ce document toujours qualifié de «projet» n’en est plus un. Il comporte des objectifs et des stratégies destinés à influencer la planification et l’aménagement de nombreuses infrastructures importantes, ce qui implique que l’on a affaire à une forme de réglementation de l’aménagement du territoire

parallèle à la législation existante. Le «projet» envisage pour cela des coopérations qui surmontent les barrières politiques et institutionnelles, ce qu’on peut aisément comprendre comme une volonté de contourner la répartition constitutionnelle des compétences. Il n’est pas juridiquement contraignant et mise sur les mesures volontaires, mais les trois niveaux de l’Etat sont invités à s’y référer et le Conseil fédéral charge l’Administration fédérale de l’appliquer, ce qui signifie qu’il est bel et bien contraignant. Il a été élaboré par quelques

représentants de diverses autorités et administrations mais n’a été voté par aucun pouvoir législatif. Pour couronner le tout, ce document dont on nous annonce l’adoption ne sera

publié que l’année prochaine.

 

On se trouve donc face à ce que l’on appelle parfois, plaisamment, un «objet juridique non identifié», ou encore, plus sérieusement, une forme de soft law ou «droit mou». Une réglementation en marge des réglementations régulières. Un texte d’apparence inoffensive mais qui va orienter les décisions des autorités et de l’administration, sans avoir passé par le processus législatif. La consultation organisée en 2011 sur une version initiale de ce texte – qui avait d’ailleurs débouché sur des critiques sévères – ne saurait en effet remplacer une approbation formelle par les assemblées législatives concernées.

 

Un statut juridique ambigu procure un pouvoir

disproportionné aux aménagistes

 

Le fait qu’il s’agisse d’aménagement du territoire n’est pas anodin: dans ce domaine tout particulièrement, des tentations planificatrices et centralisatrices se manifestent depuis de

nombreuses années, susceptibles d’affecter quasiment toutes les activités humaines et

prêtes à mettre en coupe réglée le développement économique, les besoins des collectivités locales, voire la propriété privée. Ce sont ces conceptions qui sous-tendent le Projet de territoire suisse et ce dernier, de par son statut juridique ambigu, procure un pouvoir disproportionné aux aménagistes, leur permettant de s’affranchir de nombreuses contraintes

constitutionnelles et politiques.

 

Afin que l’aménagement du territoire reste entre les mains d’autorités non seulement proches du terrain, mais aussi clairement identifiables et politiquement responsables, il importe d’abandonner – ou tout au moins de recadrer juridiquement – ce nébuleux «Projet de territoire suisse» qui n’apporte rien d’utile à la législation régulière déjà en place. D’une manière plus générale, il faut absolument traquer, dénoncer et démanteler toute tentative d’imposer sournoisement des réglementations parallèles échappant au contrôle parlementaire.

 

(PGB)

Thèmes associés: Environnement - Politique fédérale

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