Drôle d'époque!

A notre époque, qui ne favorise ni la réflexion ni la maîtrise des sentiments, ce sont les émotions et l’instinct grégaire qui gouvernent les comportements collectifs.

Le public sait que des milliers d’êtres humains meurent chaque jour de faim ou de maladie en Afrique, il n’en est pas particulièrement dérangé. Des centaines de civils, parmi lesquels de nombreux enfants, sont tués par les bombardements des nations «civilisées» en Serbie, en Irak, en Afghanistan, en Syrie; ces tueries le laissent impavide.

Mais qu’une petite apprentie de dix-neuf ans soit étranglée par son amant, meurtrier récidiviste, et voici que les fameux «réseaux sociaux» ne bruissent que de ce fait divers, qu’une dame bien intentionnée organise une «marche blanche» avec lâcher de ballons et que nos quotidiens consacrent des articles copieux à l’affaire.

Il est vraisemblable qu’après la découverte du corps de la malheureuse victime, le président de la commune ou la police a constitué une «cellule psychologique» pour aider les proches à exprimer leur douleur et leur colère. Les camarades de classe viennent déposer des fleurs, on laisse sur le lieu du crime des poèmes dans lesquels on s’adresse directement à la défunte.

Des politiciens exigent des commissions d’enquête, des réformes du code de procédure pénale, l’abrogation de la libération anticipée des condamnés, ou encore le rétablissement de la peine de mort.

Un mois plus tard, le public s’enflammera pour un autre fait divers comme l’exécution sauvage à la machette d’un soldat en plein centre de Londres, de jour et sous les yeux horrifiés des passants.

Le public viendra déposer des centaines de bouquets de fleurs sur le trottoir pour cette victime anonyme et inconnue.

Le public a besoin de manifester de façon collective et visible qu’il est submergé par des émotions irraisonnées. Cette forme de solidarité artificielle le conforte dans l’idée qu’il fait bien partie de l’humanité, de la collectivité citoyenne. Plus il est enfermé chez lui, seul avec ses centaines d’«amis» Facebook qu’il ne connaît même pas, plus il lui est nécessaire, une ou deux fois par an, de se mêler physiquement à d’autres moutons qui défilent silencieusement dans une «marche blanche» sans objet et sans but, juste pour manifester qu’on y était.

Si l’affaire est grave, on trouvera invariablement un ou deux crétins qui porteront dans le cortège une pancarte sur laquelle on lira «Plus jamais ça!» et lesdits imbéciles arboreront l’air martial et satisfait de ceux qui ont fait progresser leur siècle.

Pendant ce temps, le président Obama avoue qu’il a autorisé le meurtre à distance de trois mille cinq cents personnes grâce à des drones et la prison de Guantánamo héberge depuis dix ans des hommes qui ne sont accusés de rien.

Drôle d’époque!

Claude Paschoud

Thèmes associés: Politique générale

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