Acquis social

Le conseiller fédéral [Alain Berset]a lancé hier la campagne contre l’initiative populaire «Financer l’avortement est une affaire privée», en votation le 9 février. Ce texte est «dangereux», affirme Alain Berset, la proposition «remet en cause un acquis social important, sous prétexte d’économies».[1]

Ça commence bien! On ne sait trop si, aux yeux du chef du Département fédéral de l’intérieur, c’est l’avortement plus ou moins libre – qu’on appelle pudiquement et hypocritement interruption volontaire de grossesse (IVG) – qui est un acquis social ou son remboursement par l’assurance-maladie de base obligatoire. En tout état de cause, considérer sereinement le droit de tuer ou son financement par la communauté comme un acquis social relève du cynisme le plus éhonté. Laisser entendre de surcroît que le but de l’initiative est uniquement de faire des économies sur les coûts de la santé est un mensonge grossier, puisque ce motif vient en dernière position des arguments des initiants, après le renforcement de la liberté de conscience des citoyens, la réduction du nombre des avortements, le rappel de la vocation des assurances- maladie qui est de soigner et de sauver des vies et non de financer leur suppression. On voit bien comment les adversaires de l’initiative comptent biaiser le débat et en faire une sorte de querelle des anciens et des modernes, des anti- et des pro-avortement libre.

Les initiants sont évidemment opposés à l’avortement. Ils savent aussi très bien qu’une initiative visant à remettre en cause la solution des délais très largement  acceptée (72, 2% des votants) le 2 juin 2002 serait vouée à l’échec. Ils ont donc choisi un moyen détourné, afin de limiter le recours à l’avortement à défaut de le supprimer. On peut ne pas être d’accord avec le procédé, mais ce n’est pas une raison pour déplacer le débat sur un autre terrain, histoire de diaboliser les partisans de l’initiative. En effet, il est tout à fait licite de s’interroger sur la légitimité de contraindre, par le biais de l’assurance-maladie de base obligatoire, la totalité des assurés, y compris ceux qui s’opposent à l’IVG pour des raisons de conscience, à financer par leurs primes les quelque onze mille meurtres annuels commis sur des embryons ou des fœtus, pour de basses raisons de commodité parfois.

En refusant d’entrer en matière sur cette question centrale, les adversaires de l’initiative montrent que deux notions au moins ont disparu de leur cerveau: l’objection de conscience et le sens des responsabilités.

Ces gens sont pourtant les héritiers des milieux qui, il y a quelques décennies, militaient en faveur des objecteurs de conscience condamnés par les tribunaux militaires. Aujourd’hui, ils refusent le droit d’objecter à des milliers de concitoyens pris en otage par le caractère obligatoire de l’assurance-maladie. Et, en plus, ils les insultent en leur attribuant des motifs bassement matérialistes. Question: si on a pu mettre en place un service civil de remplacement pour une minorité d’individus réfractaires à l’armée, pourquoi ne pourrait-on pas mettre en place, pour satisfaire les réfractaires au cofinancement de l’avortement, un moyen d’épargne ou une assurance complémentaire qui offrirait aux femmes le «droit de choisir» – très important, ça, le droit de choisir – si elles veulent pouvoir ou non recourir un jour à l’avortement?

En effet, le financement automatique de l’avortement par l’assurance de base obligatoire épargne aux candidates à l’IVG la pénible nécessité de prendre leurs responsabilités, d’opérer un véritable choix. Pensez-donc: les organismes de planification  familiale, les défenseurs des droits humains, les féministes et le «ministre» de l’intérieur leur disent que le droit d’avorter est un acquis social doublé d’un bon moyen de se débarrasser des problèmes posés par une grossesse non désirée et, en plus, c’est quasiment gratuit! S’il fallait puiser dans sa «crousille» ou se mettre sur le dos des primes d’assurance supplémentaires, peut-être certaines d’entre elles se renseigneraient-elles sur la possibilité de mettre au monde leur bébé et de bénéficier d’une aide non plus pour avorter, mais pour élever leur enfant ou, le cas échéant, le faire adopter. En tout état de cause, c’est à elles que reviendrait le choix et, partant, la responsabilité. Et qu’on ne vienne pas nous dire que ce serait un système à deux vitesses favorisant les femmes aisées, et qu’on verrait ressurgir, pour les femmes pauvres, les faiseuses d’anges de sinistre mémoire. On sait bien qu’une société qui accepte le principe du meurtre de l’enfant à naître – déjà né dans pas si longtemps – saura apporter aux «plus démunies» l’aide financière dont elles ont besoin pour se débarrasser de l’intrus.

Compte tenu de la malice des temps et des mœurs, il serait illusoire de vouloir éradiquer l’avortement dans un pays qui, pourtant, se plaint du vieillissement de sa population et a donc grand besoin d’enfants. On ne peut que tenter de limiter les dégâts.

Dans ces conditions, quand bien même l’acceptation ne permettrait de sauver qu’une vie sur dix, il convient de voter OUI, le 9 février, à l’initiative «Financer l’avortement est une affaire privée».

Mariette Paschoud

           

 

NOTES:

[1] 20 minutes du 10 décembre 2013.

Thèmes associés: Ethique - Politique fédérale

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