L'Ukraine entre l'Est et l'Ouest

PolluxLe Pamphlet n° 430 Décembre 2013

 

Qui a dit que la guerre froide était finie? Alors que le conflit syrien se transforme en un affrontement entre l’Est et l’Ouest, plus près de nous, et dans un registre tout de même moins violent, l’Ukraine se trouve elle aussi au cœur de la lutte d’influence entre les deux grands blocs. Ce pays immense s’étend sur environ 1500 kilomètres de large; à l’ouest, il est accroché à la Pologne dont il a ravi autrefois, bien malgré lui, une partie de l’ancien territoire, laissant une blessure encore vive chez de nombreux Polonais; à l’est, il touche la Russie, à laquelle il fut étroitement uni pendant toute la période soviétique. C’est un vaste trait d’union entre deux mondes, écartelé, mais aussi convoité et courtisé de part et d’autre. L’identité ukrainienne vigoureusement affirmée n’empêche pas la population d’être partagée entre ces deux pôles. La langue elle-même reflète par certains aspects ces tiraillements.

On ne fera pas l’injure aux lecteurs du Pamphlet d’imaginer qu’ils puissent accorder quelque crédit aux comptes rendus romancés que nous servent les médias occidentaux à propos des événements qui se déroulent à Kiev. Il n’y a pas, d’un côté, une population progressiste et pro-européenne et, de l’autre, une classe politique réactionnaire et pro-russe. Il y a seulement des masses manipulées – peut-être de part et d’autre, admettons-le. Des idéalistes, mais aussi des contestataires, organisés et télécommandés par divers lobbies européens et américains, puis encouragés sans plus de discrétion, en pleine rue, par le personnel des ambassades occidentales. Depuis la première tentative de renversement politique en 2004, ce genre de manipulation n’est même plus dissimulé mais au contraire assumé avec cynisme, présenté comme une aide généreuse contre l’autoritarisme.

Pourtant, certaines choses ont changé depuis la «Révolution orange» de Viktor Iouchtchenko et Ioulia Tymochenko. D’abord, les «violences policières» d’Ukraine apparaissent aujourd’hui gentillettes à côté des dérives autoritaires dans lesquelles sombre par exemple la France – où la police, devenue la garde prétorienne d’un gouvernement ruiné et aux abois, reçoit l’ordre de charger contre des familles et des enfants, de molester et d’amender des passants parce qu’ils portent un survêtement aux couleurs d’un mouvement d’opposition, ou d’intercepter en pleine rue une voiture portant l’inscription «Hollande démission!» afin de traîner son conducteur devant un juge.

Ensuite, l’Union européenne est perçue de plus en plus comme un empire en faillite et en décomposition. Malgré ses promesses de subventions, elle fait moins rêver les populations de l’Est. Parallèlement, la Russie a réussi à redresser spectaculairement sa position sur la scène internationale et s’inscrit actuellement dans une dynamique de croissance économique et politique. Or beaucoup de gens, plus par instinct que par conviction, préfèrent se tourner vers les forts que vers les faibles. Aujourd’hui, 46% des Ukrainiens soutiendraient un rapprochement avec l’Europe, contre 36% qui préféreraient une adhésion à l'Union douanière avec la Russie. Il faudrait peut-être peu de choses pour que les fronts s’inversent.

Enfin, la Russie d’aujourd’hui s’exprime, et elle s’exprime d’une manière accessible à tout un chacun. A la propagande assez primaire des médias de l’Ouest répondent d’excellents articles en français publiés sur internet et présentant les événements d’Ukraine vus de l’Est. On citera notamment le service francophone de l’agence de presse RIA Novosti (http://fr.ria.ru) qui diffuse des bulletins d’information au ton étonnamment peu militant, ainsi que des commentaires un peu plus tranchés de la part d’analystes politiques indépendants. Même si la prudence est toujours de mise, les faits et les chiffres qu’on y trouve ne sont pas plus suspects que ceux publiés à l’Ouest. Ils offrent un indispensable complément d’information à tous ceux qui, y compris chez nous, suivent avec inquiétude ou espoir cet épisode douloureux de ce que le journaliste Alexandre Latsa appelle la «guerre des grands ensembles».

Pollux

Thèmes associés: Politique internationale

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