Faces cachées

L'excellente émission d'Arnaud Poivre d'Arvor, Non élucidé, était consacrée, dimanche 16 février dernier, à l'affaire Dupont de Ligonnes. Au mois d'avril 2011,  cinq cadavres furent découverts à Nantes dans le jardin de la maison familiale de Xavier Dupont  de Ligonnes: trois jeunes gens et deux femmes, tous dans des sacs d'ordures recouverts de chaux. Il s'agissait de l'épouse et des quatre enfants de Xavier Dupont de Ligonnes, dont on découvrira assez rapidement que ses affaires professionnelles n'allaient pas bien et  que son couple vacillait. Lui-même disparut à la fin de ce mois d'avril, non sans avoir signalé auparavant sa présence dans le midi de la France. Il avait également pris soin de prévenir l'employeur de sa femme de l'absence de cette dernière pour raison de maladie. Les établissements scolaires concernés furent également informés de l'absence de ses enfants, mais pour un autre motif, définitif celui-ci: un départ précipité et contraint de toute la famille vers les Etats-Unis.

Depuis, l'homme est introuvable. Cette famille était catholique traditionaliste. La sœur du suspect, entendue longuement dans l'émission, soutient la thèse de son frère et affecte une confiance totale dans sa version des faits, malgré les cinq cadavres, qui ne seraient pas ceux de ses proches…   Aucune trace d'ADN n'a pu être décelée sur les sacs poubelles contenant les victimes, et aucune absence signalée à Nantes n'est venue étayer la thèse de la sœur de Xavier Dupont de Ligonnes, qui reste donc l'unique suspect de ces cinq meurtres.

On est tout de même un peu surpris de voir le calme avec lequel cette sœur du disparu s'exprime, et les sourires qu'elle affecte dans l'émission démontrent un total détachement à l'égard des meurtres commis, absolument incontestables. On est surpris au point de penser que, si elle n'en fut pas la complice, elle manifeste une étrange incompréhension d'un drame bien réel, incompréhension qui s'apparente à du déni… Son frère Xavier vivait-il dans ce même déni? Hors l'hypothèse du suicide, comment en douter au vu de son comportement? Un homme qui n'a rien à se reprocher n'a aucune raison de fuir la police et ses interrogatoires.

A quelles monstruosités la société moderne nous expose! Tous les cadres rassurants s'effondrent:  références religieuses, liens familiaux, rien ne résiste, pas même les scrupules de conscience. Nous touchons là à un seuil de perfidie sans doute jamais atteint, où la civilisation n'est plus qu'un masque trompeur et désuet. Disons-le clairement: notre époque justifie et excuse le meurtre. Cette affaire est loin d'en être l'unique et exceptionnelle illustration. Et le mal s'étend jusque dans le milieu catholique traditionaliste…   N'a­t-on pas délivré chez nous un permis de sortie à un prisonnier condamné pour meurtre, avec permission de se procurer un couteau alors qu'il était accompagné, dans cette sortie, par une assistante, elle-même sans défense? Cette dernière paya de sa vie la légèreté des psychiatres et du personnel judiciaire qui avaient autorisé cette sortie dans de telles conditions.

Non, le meurtre ne scandalise plus. A peine connu, prouvé, on songe déjà à la réinsertion du coupable, comme si la peine n'était plus qu'une parenthèse obligée …  Or c'est là une conséquence clairement perçue depuis longtemps par un penseur espagnol, Donoso Cortès, qui écrivait ceci à la fin de son Essai sur le catholicisme, le libéralisme et le socialisme1: «Supprimer comme excessive la peine de mort pour les crimes capitaux, c'est supprimer toute espérance de pénalité pour  les délits moindres, car si une fois on applique aux premiers une peine quelconque qui ne soit pas la peine de mort, toute autre peine, appliquée aux seconds, violera nécessairement les règles d'une proportion équitable et dès lors sera efficacement combattue comme oppressive et injuste.»

Quand la justice est ainsi mise sur la défensive, faut-il s'étonner que se révèle, plus forte que jamais, la bonne conscience de l'instinct meurtrier?

Michel de Preux

 

1 Livre III, chapitre VI.

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