Hystérie

Un produit de lessive a été retiré de la vente en Allemagne. En effet, le fabricant avait eu la «maladresse» d’indiquer sur l’emballage que ledit produit permettait dorénavant d’effectuer  88  lessives au lieu de huitante-trois. Or, comme tout le monde le sait – à part moi jusqu’à la lecture du compte rendu mis en ligne par 20 minutes le 9 mai –, 88 «est [dans la sphère néo-nazie] un moyen déguisé de désigner le salut hitlérien», car la lettre h est la huitième de l’alphabet et le double h signifie «Heil Hitler».

Il est donc impératif de diaboliser le nombre 88. Et pour ce faire, il importe, en Allemagne et bientôt ailleurs, de sensibiliser – très à la mode ça, sensibiliser –les maîtres de mathématiques et autres branches scientifiques à la nécessité d’empêcher tout calcul dont le résultat pourrait être 88; d’interdire à tout individu d’atteindre l’âge de 88 ans; d’empêcher les crieurs des lotos d’annoncer le nombre 88; de prohiber tout compte rendu de presse qui ferait état de 88 victimes ou lauréats ou ce que vous voudrez; de condamner tout historien qui se référerait à des événements survenus en 88 avant ou après Jésus-Christ; bref, de faire disparaître tout ce qui pourrait de près ou de loin rappeler le nombre 88, étant bien entendu qu’une quenelle est un 88 à l’envers…

A propos de quenelle, justement, douze soldats suisses risquent de gros ennuis, suite à la publication sur internet d’une ou plusieurs photos – le journaliste de 20 minutes ne sait pas exactement et n’a apparemment aucun moyen de s’informer – les montrant en train de faire cette quenelle rendue célèbre par Dieudonné.

Le monde bien-pensant ayant décidé que ce geste était un salut nazi à l’envers et donc une incitation à la haine antisémite, une enquête pénale a été ouverte par la justice militaire, qui ne craint pas le ridicule, semble-t-il. Il n’y a plus qu’à espérer que l’affaire se terminera par un non-lieu.

A propos de soldats accomplissant des gestes suspects, je me demande toujours pourquoi on n’a pas encore interdit les bandes dessinées d’Astérix, qui, pour la plupart, montrent des légionnaires romains le bras levé et la main tendue pour un «Ave» – sans doute un «Heil Hitler» déguisé – qu’on devine retentissant.

Je me demande aussi pourquoi on n’oblige pas les ménagères à étendre leur linge ou à épousseter les parties élevées de leur logis avec les pieds.

Il y bien d’autres mesures de salubrité publique qu’on pourrait imposer pour parfaire la pureté idéologique de nos sociétés.

Mais l’essentiel, finalement, réside dans le conseil que je vous donne: abstenez-vous de toute posture qui impliquerait un mouvement des bras. Si vous êtes mécontents de votre commandant de compagnie, de votre chef de bureau ou de votre arrière-grand-père, tirez-lui la langue… une fois qu’il aura tourné le dos.

Mariette Paschoud