De la paix à la guerre, en six mois

Le site internet du Courrier de Russie a publié le 18 juin deux articles intitulés respectivement Réfugiés de Slaviansk à Kiev et Réfugiés de Slaviansk à Moscou1. Le premier relate la rencontre avec un couple qui, menacé par des militants séparatistes, a dû quitter en urgence sa maison et ses biens pour se réfugier dans la capitale ukrainienne, à l’Ouest donc. Le second rapporte les propos d’une jeune femme qui, elle, est partie avec ses deux enfants à l’Est, à Moscou, tandis que son mari restait – en partie par choix, en partie par obligation – pour se battre dans l’armée des insurgés.

Une première réflexion est que les médias russes, officines de désinformation contrôlées d’une main de fer par l’abominable Poutine, sont capables d’aller à la rencontre des gens des deux côtés de la ligne de front, de donner la parole aux deux camps qui s’affrontent, sans forcément juger et sans même censurer les détails peu flatteurs pour les milices «pro-russes». Les médias occidentaux, libres et démocratiques, se contentent pour leur part de rapporter en ricanant les déclarations du gouvernement russe et, d’un air grave, celles du secrétaire général de l’OTAN et des ministres européens. On comprend, en gros, que les nôtres (les forces du bien) se battent contre les autres (les forces du mal) et que de toute façon cela reste très loin d’ici. On retiendra cette anecdote d’une vidéo diffusée par l’Agence France Presse et titrée Slaviansk pilonnée par les séparatistes; lorsqu’il devint évident que c’était au contraire l’armée ukrainienne qui «pilonnait», le titre fut corrigé en un discret Slaviansk touchée par des tirs de mortier – ce qui n’empêcha pas le premier titre mensonger de continuer à se répandre sur internet.

Une deuxième réflexion concerne l’indifférence, le désintérêt, le manque d’empathie que manifeste le citoyen occidental moyen face à ce conflit. On s’émeut du sort de tribus de sauvages à l’autre bout du monde, on s’indigne quand une romancière anglaise mange un lapin ou quand un jeune désœuvré maltraite un chat, mais on ne réagit pas en voyant nos semblables s’entretuer sur notre propre continent, détruire des maisons, des églises, des villages, des villes.

Cela nous amène à cette troisième réflexion: ce conflit est stupide! A l’heure où l’Europe occidentale ploie sous l’invasion de cultures et de religions exotiques, des gens qui vivent dans des régions épargnées, qui partagent une origine commune et des langues très proches, ne trouvent rien de mieux que de se faire la guerre. Des «nationalistes» venus de l’Ouest, prétendant défendre l’Europe traditionnelle, se battent rageusement contre des cosaques venus de l’Est, véritables incarnations de l’Europe la plus traditionnelle. Des accusations de «fascisme» fusent de part et d’autre. On veut bien croire que des Etats étrangers ont engagé en Ukraine des professionnels de la manipulation et de la subversion; cela n’excuse pas ceux qui se laissent manipuler et subvertir. Le résultat est un gâchis innommable.

La dernière réflexion porte sur la rapidité fulgurante avec laquelle ces événements ont dégénéré: en six mois à peine, de simples manifestations de rue ont débouché sur un conflit armé. Pas une cyberguerre, mais une guerre «classique», territoriale, avec des soldats, des blindés, des avions, des bombes, des morts civils et militaires, des habitants qui fuient en masse. Il y a six mois, personne n’imaginait un tel scénario. Il faudra y repenser à chaque fois que de pontifiants politiciens nous répéteront que l’Europe vit en paix, et à chaque fois que de fins stratèges nous exposeront leurs théories de montée en puissance, arguant qu’aucune menace ne pèse actuellement sur notre pays et que, si une telle menace survenait, notre armée aurait plusieurs années pour retrouver les capacités d’action qui lui manquent.

Pollux

NOTES:

1 www.lecourrierderussie.com/dossiers/sud-est-ukrainien/

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