Anglais ou langue nationale?

Quelques cantons de Suisse alémanique ont décidé d'enseigner dans leurs écoles publiques l'anglais avant le français, peut-être même, à terme, l'anglais à la place du français.

Pour justifier cette inqualifiable attaque contre la «cohésion nationale», les promoteurs de cette nouveauté plaident que les programmes scolaires sont déjà trop chargés et que l'enseignement de deux langues «étrangères» à l'école primaire représente pour les enfants un effort excessif. Ils observent en outre que l'anglais est une langue indispensable dans le monde globalisé d'aujourd'hui, ce que le français n'est pas pour un Alémanique.

La décision des Thurgoviens et des Nidwaldiens provoque un tollé en Suisse romande, où l'on semble découvrir subitement ce que les Welschs représentent pour les authentiques Confédérés d'avant 1803.

La récente éviction de la société Matisa d'un appel d'offres lancé par les CFF pour un marché de 100 millions où tout devait être rédigé, pensé, et exécuté en allemand, a aggravé le malaise.

Et pourtant, en Thurgovie et à Nidwald, ils ont parfaitement raison. Non pas dans leur souci de diminuer la charge des élèves. Avant même l'école primaire, les facultés d'assimilation des enfants sont étonnantes et l'un de mes petits-fils, âgé de neuf ans, parle couramment le catalan, l'espagnol, le français et (dit-il modestement) «un peu d'anglais». S'il fallait alléger les programmes, c'est d'autres matières qu'on pourrait sacrifier avant les langues.

Non, si les Thurgoviens et les Nidwaldiens ont raison, c'est que l'anglais est effectivement une langue de communication indispensable, qu'elle s'apprend aisément, et que le français en revanche ne leur servira probablement jamais à rien.

Qu'on ne vienne pas m'amuser avec la fameuse «cohésion nationale». D'abord, la Suisse n'est pas une nation et ne l'a jamais été, à l'exception peut-être de la période comprise entre 1939 et 1945. Ensuite, ce qui cimentait un sentiment de cohésion fédérale, c'était le service militaire à l'époque où il était obligatoire et où l'armée comptait 600'000 hommes.

Les Suisses allemands n'ont pas besoin de nous, notre langue et notre culture ne les intéressent pas. Pour briguer un poste de haut niveau dans l'administration fédérale ou dans une entreprise importante, il faut maîtriser l'allemand, ou mieux encore, le suisse-allemand. Nous autres Romands sommes dès lors obligés d'apprendre la langue de Goethe ou de Gottfried Keller mais nos Confédérés d'outre-Sarine ne seront jamais confrontés à nulle difficulté professionnelle s'ils ânonnent piteusement notre langue.

Nous pouvons regretter cette asymétrie, mais elle est inévitable. Les Tessinois qui veulent se faire entendre au niveau fédéral s'expriment en allemand.

Mais le pire serait que la Confédération s'en mêle. Quelques bons apôtres s'imaginent que le pouvoir fédéral devrait user de ses maigres compétences constitutionnelles pour imposer aux cantons rétifs l'obligation d'enseigner prioritairement une langue nationale avant l'anglais. Avide de se mêler de tout, y compris de l'instruction publique dont l'article 62 al. 1 de la Constitution réserve la compétence aux cantons, la Confédération est parvenue à faire adopter un alinéa 4 à cet article, qui lui permettrait de légiférer «dans la mesure nécessaire» si la coordination entreprise par les cantons (HarmoS) n'aboutissait pas à une harmonisation (lisez: à un nivellement) de l'âge d'entrée à l'école, de la durée et des objectifs des niveaux d'enseignement, etc.

Il est aisé de comprendre que si les cantons sont dépouillés de leurs compétences dans le choix des priorités, au profit de la Confédération, il ne faudra que quelques décennies pour que le romanche, l'italien et même le français disparaissent au profit du züritütsch. Réclamer l'aide de la Confédération pour la défense du français, c'est comme si un poulet demandait au renard d'arbitrer son litige contre le taureau.

Nous pouvons regretter le choix de nos Confédérés qui accordent la priorité à l'enseignement de l'anglais plutôt qu'au français, mais c'est leur choix et, de grâce, ne mêlons pas l'autorité fédérale à cette affaire!

C.P.

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