Editorial

On ne le dira jamais assez: ce qui rend insupportables les gardiens de l'orthodoxie politique et idéologique, c'est leur inaptitude foncière à se mettre à la place d'autrui. Tout ce qui sort de leurs schémas, tous les propos ou écrits à leurs yeux condamnables doivent être voués aux gémonies. Quiconque tenterait de leur expliquer que le monde n'est pas né le jour où, pour la première fois, ils ont eu une idée, d'ailleurs mauvaise; quiconque leur ferait remarquer qu'il a existé d'autres époques, d'autres circonstances ou d'autres manières de penser que celles qu'ils connaissent se heurterait à un «j'veux pas l'savoir» définitif. Une autre particularité de ces «esprits ouverts» est qu'ils sont incapables de considérer un individu sous toutes ses facettes ou une œuvre dans son ensemble, que le moindre comportement «inapproprié», la moindre virgule «déviante» justifient à leurs yeux une condamnation globale et sans appel.

C'est un de ces «flics de la pensée», un conseiller communal socialiste palinzard nommé Yves Giroud, qui exige que soit débaptisé le Chemin Marcel Regamey inauguré en toute discrétion à Epalinges le 13 avril 1983, quelques mois après le décès de ce grand serviteur de la Patrie vaudoise, personnalité éminente de la commune. Pourquoi tant de haine? Parce que, en 1932, époque où il n'était pas encore interdit d'émettre des réserves à l'égard des juifs, le président de la Ligue vaudoise avait rédigé dans la Nation un article intitulé «Défie-toi du juif», dans lequel il soulignait, outre le rapport particulier du peuple juif avec l'argent, les effets d'une double appartenance – en l'occurrence vaudoise et juive – et la nécessité de ne pas laisser des juifs occuper des postes où, si nous avons bien compris, ils risquaient de se laisser dominer par leur mentalité et leurs racines juives au détriment de leur pays.

Il ne fait pas de doute que, de nos jours, de tels propos – rédigés par un jeune homme de vingt-sept ans qui ne se préoccupait guère de ménager ses lecteurs – auraient valu à leur auteur les foudres de l'article 261bis du code pénal. Mais ils n'ont pas soulevé de vagues à l'époque, autant que nous sachions. Heureusement, Yves Giroud est arrivé…

Que l'auteur du texte incriminé ait écrit quantité de livres et d'articles traitant de sujets politiques, culturels, économiques, philosophiques, théologiques sans aucun rapport avec les juifs; qu'il ait mené d'innombrables combats pour le bien du Pays de Vaud; qu'il ait été un homme respecté et admiré pour sa fidélité, son intégrité, son immense intelligence et sa vaste culture ne saurait évidemment empêcher un batracien pustuleux de déverser sa bave sur un homme de bien qui, de surcroît n'est plus là pour se défendre. C'est désolant, mais ce n'est pas étonnant.

Nous espérons que la commission chargée par le Conseil communal d'Epalinges – dont on se demande pourquoi il n'a pas envoyé promener le «coasseur» proprement, courageusement et, bien sûr, démocratiquement – d'étudier le postulat «giroldien» saura sauver l'honneur et lui proposons, pour conclure, une petite munition sous forme d'une citation, tirée d'un autre article de Marcel Regamey1:«(…) le fait de ne pas supporter les juifs est une offense au plan divin et il a fallu que l'Allemagne nazie ait rejeté expressément la foi chrétienne pour s'adonner sadiquement à l'extermination des juifs.(…)


Le Pamphlet

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NOTES:

1 «Responsabilité des juifs», La Nation no 713, 20 avril 1965

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