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Lettre ouverte à Cabu

Paris, 7.1.2015, 14h.45 – 11.1.2015, 15h.

Cher Cabu,

A l'heure du déjeuner, comme pour le Onze septembre, une petite voix m'a suggéré d'allumer mon récepteur: ainsi ai-je appris qu'à Charlie Hebdo votre réunion éditoriale avait été frappée par quelques imbéciles utiles. Ils ont parlé de deux assassins... trois, peut-être. Quatre jours ont passé depuis, fertiles en événements. Je fais donc tourner un guéridon pour te narrer ce que votre défunte équipe n'a peut-être pas pu voir. Le 9, trois présumés coupables ont été expédiés par deux opérations quasi simultanées des équipes spéciales françaises. Deux, sans bavures, à une quarantaine de kilomètres de Paris et l'autre dans une épicerie cachère au prix d'un certain nombre de clients. Ce dernier était sans doute le troisième du raid opéré chez vous. Leur équipe a dû se scinder au moment de leur fuite. Toi qui constatais sur les ondes qu'à Charlie Hebdo vous vous plantiez dans votre combat contre la bêtise parce qu'elle ne faisait que croître, tu ne croyais pas si bien dire. Ce qui suit confirmera le bien-fondé de ta constatation.

Avant de filer de chez vous, les encagoulés, qui, dit-on, parlaient le français sans accent, ont néanmoins gueulé «Allah Akbar!» et «on a tué Charlie Hebdo» avec un timbre oriental très caractéristique... Ces as sans visages ont néanmoins oublié des papiers d'identité en changeant de véhicule – ce que c'est que la précipitation! – et plus tard – l'émotion, sans doute – ont fait le plein d'essence dans une station-service en laissant bien en évidence leurs armes sur le siège arrière pour l'édification du pompiste. Ils devaient être pressés de rejoindre le Prophète. Un instant, j'ai pensé aux cartes d'identité des terroristes découvertes, comme neuves, au pied des tours en feu de Manhattan... Mais c'est surtout la suite qui va te faire marrer – prière de relayer à ton équipe sans oublier Cavanna et Gébé que vous avez dû retrouver avec plaisir devant une bouteille et du saucisson où que vous stationniez, puisqu'en bons bouffeurs de curés, rabbins, muftis et tutti quanti, vous n'avez certainement droit ni aux cierges, ni aux vierges. Dès après votre départ pour un monde moins limité, la connerie, ici, est partie en chandelle. Philippe Val, ton ancien rédac'chef, tapait juste lorsqu'il concluait sur France Culture: «C'est ÇA la “France d'en bas”... c'est binaire... c'est le bien; le mal... on est cons comme des ordinateurs... avec un p'tit octet... Z‰RO – UN...», précisant qu'en matière de réalité il fallait «accepter qu'les choses sont compliquées, nuancées...». Eh bien! le soir même, en toute simplicité d'esprit, les «binaires» occupaient la rue comme un seul veau, au service du Système, à l'appel des marioles d'en haut. «Le monde politique est en état de sidération», rapporta une microtteuse. Tu parles! Au milieu des tremoli de circonstance et des bégaiements d'indignation, on est en train d'assister à un superbe travail de récupération en d'émouvants lâchers de poncifs. Pêle-mêle sur les ondes, on a pu ouïr: l'Agenouillée Bleue Marine; MM. Touati, Kahn1, Sssarkozy; Hassen Chalgoumi, (imam de Drancy: beau symbole) et Dalil Boubakeur (recteur de la mosquée de Paris)... et puis le président, aussi. Dès la fin de l'après-midi, les branleurs de cerveau l'avaient, leur slogan: «Je suis Charlie»... Je t'avais déjà raconté comment, au milieu des années soixante, potaches à St Centurion2 – et lecteurs amusés de cette Potachologie illustrée par tes soins pour Goscinny – nous avions été piégés par le père Lopéra2, notre prof de philo et de latin: sum asinus... quand il aurait été préférable de traduire sequor asinum. Servis par vos cadavres, ils sont en train d'endosser les rôles Des hommes d'influence3. Tout ce que la France compte de crédules a été rameuté par les faux-culs de la France d'en haut. Ça médiatise «à donf». La totalité du Système fait assaut de sainteté et de solidarité, le doigt sur la couture du pantalon garance et l'œil pointé sur la ligne verte des djihadistes. On a tiré de la naphtaline des «valeurs» républicaines qui, pour une fois, ne sont pas de celles qu'on négocie en bourse. «La France est frappée au cœur», s'est indigné, entre deux tics, Sssarko-le-Revenu. Au signal «LIBERT‰ D'EXPRESSION» glapi par les as du micro, une rapporteuse, emportée par son émoi professionnel, taquine le lapsus et dégaine sur RTL «expression de liberté»! Les oreilles de Vincent Reynouard et de Dieudonné ont dû tinter comme le beffroi de Notre-Dame par temps de Femen!

Adieu, cher Cabu, je regretterai ton trait vachard et drôle. Dis à tes potes de faire gaffe, parce qu'ici-bas, à défaut de santi subito, ils sont en train de faire de vous des monuments. Je te quitte; il faut que je présente mes vœux à ceux qui restent.

Max l'Impertinent

 

[1] Pas Strauss-; Jean-François!

[2] Faux-Nez... les Anciens comprendront.

[3] Film de Barry Levinson (titre original: Wag the dog). A voir absolument!

Thèmes associés: Politique française

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