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L'information date du mois de septembre, mais le ridicule se rit du temps: la télévision suédoise SVT «a expurgé les téléfilms mettant en scène Fifi Brindacier pour prévenir toute accusation de racisme». En effet, dans la version originale, la célèbre petite fille aux tresses rousses appelait son père le «roi des Nègres» et on pouvait voir «une scène dans laquelle elle jouait au “Chinois”en bridant ses yeux». Le comble de l'horreur!

Il était donc urgent de protéger le jeune public, car «ce peut être offensant ou méprisant pour les enfants de voir ou d'entendre ça». C'est bien vrai! Pauvres petits!

Comme si cette sottise ne suffisait pas, la société qui détient les droits d'Astrid Lindgren, auteur des aventures de Fifi Brindacier, en a remis une couche: «Astrid Lindgren avait d'autres valeurs que d'offenser les gens.»

Coucou! revoilà les «valeurs», ce mot passe-partout qui permet de remiser les «principes» et les «convictions» au musée de la ringardise non citoyenne et non républicaine.

On fera remarquer qu'Astrid Lindgren a écrit les Fifi Brindacier entre 1945 et 1948, époque où le mot «nègre» était le simple équivalent de «noir», où, curieusement, les Chinois n'étaient pas jugés dignes d'une protection particulière; que les téléfilms datent de 1969 et ont donc offensé et méprisé les enfants pendant quelque quarante-cinq ans sans que personne ne s'en émeuve; qu'Astrid Lindgren a quitté cette vallée de larmes de crocodile en 2002 et qu'on peut donc lui attribuer désormais les «valeurs» qu'on veut.

L'honnêteté voudrait qu'on cesse de diffuser des téléfilms qui ne correspondent plus aux inégalables «valeurs» de notre époque plutôt que de procéder à des adaptations, au risque de trahir l'auteur des livres dont ils sont tirés. Mais le souci de se prémunir contre une accusation de racisme ne doit selon toute apparence pas empêcher SVT et les détenteurs des droits de faire du fric avec une série à succès. Alors, au diable l'honnêteté, bonjour la protection des enfants et les «valeurs» de Madame Lindgren!

Ces gens-là n'ont même pas le courage de leur lâcheté.

Mariette Paschoud

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