Peut-on punir la négation d'un génocide?

C'est le titre d'une réflexion que l'avocat lausannois Robert Ayrton a confiée à 24 heures jeudi 19 février dernier.

Prenant prétexte du cas Dogu Perinçek, ce nationaliste turc qui avait qualifié de «mensonge international» le génocide des Arméniens en 1915, l'auteur rappelle que Perinçek avait été condamné par la justice suisse sur la base de l'art. 261bis du Code pénal, mais que la Cour européenne avait désavoué les juges suisses le 17 décembre 2013. Le DFJP a fait recours et la Grande Chambre de la Cour européenne est actuellement saisie.

Nous avons déjà consacré à cette affaire un article intitulé Liberté d'expression dans le Pamphlet n°431 de janvier 2014. Nous avions relevé que la Cour, dans son arrêt n° 117, reconnaissait que «la recherche historique est par définition controversée et discutable et [qu'elle] ne se prête pas à des conclusions définitives ou à l'affirmation de vérités objectives et absolues».

Et si la Grande Chambre confirmait l'arrêt de la Cour? Cela pourrait donner des ailes à certaines huiles de l'UDC, selon l'expression de Me Ayrton, pour exiger le retrait de la Suisse de la CEDH ou l'abrogation de l'art. 261bis lequel, selon elles, n'aurait jamais dû exister.

L'auteur estime qu'un retrait de la Cour européenne des droits de l'homme relève de la politique-fiction. Sur ce point, je partage son avis. La Suisse n'a d'ailleurs été «épinglée» par la Cour que lorsqu'elle méritait de l'être pour des infractions non seulement à la Convention, mais même à notre propre Constitution.

Une modification ou une suppression de la norme dite (abusivement) antiraciste? Me Ayrton estime le danger plus sérieux, mais il relève que la négation d'un fait historique généralement admis ne peut être tolérée que si l'auteur ne vise pas l'incitation à la haine ou à la discrimination: «On a le droit de nier un génocide pour autant que ce ne soit pas pour des intentions fielleuses.» Dès lors, conclut l'auteur, «les tribunaux suisses devront sans doute se montrer plus circonspects à l'avenir et mieux distinguer les gentils négationnistes des méchants».

Me Ayrton met le doigt, avec ironie probablement, sur la principale difficulté de l'affaire: il ne s'agit pas seulement de protéger la liberté de la recherche historique, la liberté de publication des résultats de cette recherche et la liberté d'expression dans des colloques ou des débats contradictoires, mais il s'agit de déterminer préalablement si la recherche entreprise avait pour but essentiel la haine ou la discrimination envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur appartenance raciale, ethnique ou religieuse.

Si Galilée avait pour dessein principal de nuire à l'Eglise par des théories, certes exactes mais proférées dans un but de haine et de discrimination, il devait être condamné. Mais qui détermine qu'une théorie scientifique relève d'un désir de haine?

Me Ayrton a raison: le révisionnisme historique n'est punissable, selon l'art. 261bis du Code pénal que si la négation, la grossière minimisation ou la justification d'un génocide ou d'autres crimes contre l'humanité a eu lieu pour la même raison, c'est-à-dire par haine ou atteinte à la dignité humaine d'une personne ou d'un groupe de personnes …

M. Dogu Perinçek n'a pas contesté les souffrances du peuple arménien, mais la volonté d'extermination de l'Empire ottoman, et donc le terme de génocide. S'exprime-t-il sous l'empire d'une haine de l'Arménie? On peut en douter.

Le professeur Robert Faurisson, sans mettre en doute les souffrances des Juifs ni la réalité des camps d'internement, croit pouvoir démontrer l'impossibilité de fonctionnement des chambres à gaz homicides, et dès lors leur inexistence et l'inexistence d'une volonté exterminatrice de la part du régime nazi.

Compte tenu de l'abondance des témoignages contraires, c'est assurément une thèse audacieuse, qui voit se dresser contre elle la presque unanimité des bonnes gens qui croient ce qu'on leur a appris. Mais ces conclusions lui sont-elles dictées par la haine? Certainement pas. Dispose-t-on pour le contredire d'innombrables preuves? Alors pourquoi les garder secrètes? Pourquoi ne pas mettre sur pied un colloque où ces preuves seront produites?

La raison en est simple et Me Ayrton nous la dévoile: M. Faurisson est un méchant négationniste, et donc il doit être condamné. La question de savoir s'il a raison ou pas ne doit même pas se poser.

Claude Paschoud

Thèmes associés: Histoire - Justice - Révisionnisme

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