Deux poids, deux mesures

Le journal 24 heures, dans son édition du 18 mars, interroge Mme Géraldine Savary, conseillère nationale, socialiste. Le thème est celui de diverses «affaires» qui ont touché le Parti socialiste, montrant que ses membres sont parfois sensibles, eux aussi, aux attraits de l'argent. Les questions du journaliste Laurent Aubert sont étonnamment critiques, posées sur un ton parfois mordant: Les élus PS ont-ils un problème avec l'argent? Peut-on être riche et militer au PS? Le PS est le champion de la morale. Il a toujours ce mot à la bouche… Aucune complaisance. On se croirait presque à une autre époque.

Mme Savary se défend comme elle peut. Elle déplore qu'on en vienne à exiger des élus socialistes, «au-delà des questions légales, une austérité morale. Ils devraient presque vivre dans la précarité. […] La situation financière d'un élu ne dit rien sur son engagement, ses convictions et sa sincérité». A propos d'une de ses collègues qui s'est dépêchée d'acheter une résidence secondaire juste avant la votation sur l'initiative Weber: «Cette résidence secondaire aurait de toute façon été achetée par quelqu'un!»

Ces propos sont parfaitement sensés. Mais alors pourquoi les socialistes se comportent-ils exactement et systématiquement de la manière qui choque Mme Savary? Pourquoi critiquent-ils des pratiques légales au motif qu'elles ne respectent pas l'austérité morale? Pourquoi tentent-ils de décrédibiliser certains adversaires sur le seul critère de leur situation financière?

Ce n'est pas l'apanage des socialistes. La plupart des gens, et en particulier ceux relativement médiocres qui se lancent dans la politique partisane, fonctionnent selon le principe «deux poids, deux mesures».

Ce principe constitue même le moteur essentiel de tout régime développant des tendances totalitaires, c'est-à-dire fondé sur l'exacerbation des notions de bien et de mal. Nous le voyons chaque jour autour de nous. Certains comportements – illégaux, déviants, profiteurs, dangereux, agressifs – sont permis aux icônes de la mobilité douce, aux minorités ethniques, religieuses ou sociales privilégiées, aux vedettes du politiquement correct, aux «citoyens exemplaires», tandis qu'ils valent les pires condamnations à des automobilistes, à des citoyens suisses, à des gens normaux qui vivent, travaillent et pensent de manière traditionnelle.

Ce même mode de pensée primaire se retrouve dans la politique internationale, où les «gentils» ne se voient pas appliquer les mêmes règles que les «méchants». La Crimée vient de fêter le premier anniversaire de son rattachement à la Fédération de Russie, rattachement dénoncé comme «illégal» par des puissances occidentales qui s'étaient en revanche empressées de reconnaître la proclamation d'indépendance du Kosovo il y a sept ans, indépendance obtenue par un coup de force des minorités progressivement infiltrées dans cette province serbe et appuyées par une coalition militaire étrangère. Depuis lors, un lourd silence s'est abattu sur le sort des quelques Serbes orthodoxes encore retranchés dans ce pays, harcelés et chassés par les nouvelles autorités musulmanes. En revanche, la presse intello-officielle nous abreuve aujourd'hui de détails sur le malaise des minorités en Crimée.

Soyons honnête: si nous avions le pouvoir, nous serions aussi tenté – et même très fortement – d'appliquer à notre manière le principe «deux poids, deux mesures». Mais nous aurions le bon goût de l'assumer ouvertement, sans nous abriter derrière l'hypocrisie de faux arguments légaux ou moraux.

Pollux

Thèmes associés: Humeur - Politique internationale

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