Les trois fautes de la Suisse

L’affaire libyenne prend des proportions absurdes. Le colonel Kadhafi n’est certes pas un personnage sympathique, et il est bien fâcheux que nos deux malheureux compatriotes soient «coincés» à Tripoli; sans doute est-il contrariant que l’interprétation de l’accord négocié par M. Merz ait donné lieu à des malentendus…

Mais, n’en déplaise à la meute des va-t’en guerre qui rêvent d’en découdre, c’est la Suisse qui est la responsable principale de ce sac de nœuds.

La première faute

La première faute, et elle est grave, est celle de la police et de la justice genevoises, qui ont commis une lourde erreur d’appréciation en incarcérant Hannibal Kadhafi, fils du leader libyen, et son épouse, pour une faute bénigne (présomption de voies de fait) qui n’aurait jamais valu un tel traitement et une telle humiliation au citoyen genevois lambda.

Quand on sait que des meurtriers, des escrocs et des voleurs ne passent pas une heure au «violon» mais sortent libres du cabinet du juge d’instruction, en attendant la convocation à leur procès, on se demande quelle mouche a piqué l’officier de police et le juge responsables de cette incarcération absurde, pour un délit qui ne se poursuit que sur plainte… et qui n’existe même plus en cas de retrait de plainte!

La deuxième faute

L’affaire aurait pu être circonscrite, si les autorités du bout du lac avaient rapidement fait amende honorable, en avouant la maladresse de leurs agents et l’inexpérience de leur magistrat. Il a fallu au contraire que les Genevois en rajoutent dans l’arrogance et la sottise, bientôt suivis dans la Suisse entière par une cohorte de matamores et de tartarins aussi bêtes que leur modèle. On a même lu ici et là qu’«il faudrait envoyer en Libye un commando de grenadiers parachutistes pour libérer les otages»!

Il fallait faire des excuses, et il fallait le faire vite. Au besoin, si le gouvernement de la République et canton de Genève tergiversait, il fallait que le gouvernement suisse présente ses excuses, comme un père de famille assume moralement et civilement les sottises de ses enfants mineurs ou débiles.

La troisième faute

La troisième faute a été, dès le départ, de considérer que nos deux compatriotes empêchés de rejoindre la Suisse étaient des «otages» dont le gouvernement suisse devait se soucier officiellement. On a pris bruyamment fait et cause pour ces deux malheureux, qui ne sont pourtant nullement incarcérés, et qui se sont rendus en Libye – à ma connaissance – de leur plein gré pour y faire des affaires ou pour y travailler, avec des visas de touristes.

Chez nous, le fait de cacher le but réel de son séjour ou le fait d’exercer une activité lucrative, pour un étranger bénéficiant d’un visa de tourisme, est une infraction grave à la loi sur les étrangers, passible d’une peine privative de liberté.

Les infractions dont se sont éventuellement rendus coupables nos compatriotes auraient juste mérité que nos représentants diplomatiques à Tripoli leur conseillent les services d’un bon avocat, éventuellement exercent des pressions discrètes pour faire avancer le dossier. Prendre officiellement et publiquement leur parti sans connaître le dossier, les qualifier d’«otages» et envoyer notre ministre des affaires étrangères, puis le président de la Confédération, dans des avions spéciaux, dans le but avoué de les ramener en Suisse avant même d’avoir obtenu le feu vert des autorités locales était le signe d’un grand optimisme, d’une grande naïveté, mais surtout d’une nouvelle et grave grossièreté.

Conclusion

Contrairement à ce qu’on lit çà et là, ce ne sont pas les institutions qu’il faut modifier, pour éviter un cafouillage semblable à celui qui nous a été offert par les duettistes Calmy-Merz depuis une année, mais les personnes. A moins de modifier radicalement les fondements mêmes de la Suisse et de transformer notre Etat fédératif en monarchie héréditaire, le problème du pouvoir est hélas insoluble. Depuis l’éjection du père, les garnements du Conseil fédéral nous offrent le triste spectacle d’une bande de gamins irresponsables, solidaires lorsqu’il s’agit de vider l’armoire à confitures, mais désemparés à la première crise qu’ils n’ont su ni prévoir ni gérer.

Pris de court par la crise financière, par la crise économique, par la menace de pandémie grippale, par les attaques du G20, par les «otages» suisses de Libye et par le déficit abyssal de l’AI, nos conseillers fédéraux courent dans tous les sens, chargés de sparadraps, se croisent et se contredisent dans une consternante cacophonie.

Le plus sage, aujourd’hui, et le plus urgent, est de faire savoir à Tripoli que la Suisse se désintéresse totalement du sort de MM. Max Göldi et Rachid Hamdani, qui n’étaient chargés d’aucune mission officielle, et dont le gouvernement n’a pas à se préoccuper. Ces deux messieurs rentreront en Suisse quand leur dossier sera traité, dans une semaine ou dans deux ans, qu’importe. La Confédération n’a pas à s’en soucier, encore moins à payer un centime pour leur «libération».

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