Encore le service civil

Les civilistes, nul ne l'ignore, effectuent un «service civil de remplacement» d'une durée sensiblement supérieure – une fois et demie – à celle du service militaire. Au départ, c'est-à-dire à partir du 1er octobre 1996, date de l'introduction de cette institution hautement nécessaire à la sécurité de notre pays, il était entendu que seuls des jeunes gens aptes à servir mais à qui leur conscience interdisait d'appartenir à l'armée deviendraient civilistes.

A partir du 1er avril 2009 et contrairement à ce qui se passait auparavant, le simple fait de souhaiter accomplir un service civil sensiblement plus long que le service militaire et d'en faire la demande au nom d'un conflit de conscience fut censé prouver la bonne foi des candidats – Dame! Qui aurait l'idée saugrenue d'accomplir trois cent nonante jours de service au lieu de deux cent soixante, à moins d'être percé jusques au fond du cœur d'une atteinte imprévue aussi bien que mortelle à l'idée de porter l'uniforme et les armes? La prolifération inattendue des conflits de conscience a été telle, alors, qu'on a tenté, dès le printemps 2011, d'enrayer le désastre,  notamment en réintroduisant l'entretien destiné à  éclaircir les motifs des candidats. Mais cet entretien n'est pas un examen de conscience. En fait, il suffit d'alléguer des motifs de conscience pour être agréé, ce qui est à la portée du premier menteur venu. Et l'attractivité du service civil n'a pas diminué, selon toute apparence1.

Il faut se rendre à l'évidence: le libre choix entre service militaire et service civil existe de facto en Suisse.

Mais pourquoi donc tant de jeunes gens préfèrent-ils le service civil au service militaire?

J'ai mauvais esprit et la conviction – partagée par beaucoup – que, bien que les intéressés s'en défendent, les conditions de confort sans comparaison avec les contraintes de la vie militaire dans lesquelles s'effectue le service civil auprès d'institutions dites d'intérêt public peuvent être considérées par de nombreux «humanistes conscientisés» comme une compensation suffisante à la durée plus grande de l'engagement. A cela s'ajoute la perspective de toucher, comme les militaires, au moins soixante-deux francs par jour d'allocations pour perte de gain en plus d'une solde de quatre francs. Ce n'est pas rien, en tout cas pour des jeunes gens impécunieux, étudiants en particulier. En outre, les civilistes, de même que les militaires et contrairement aux membres de la protection civile, ne paient pas de taxe militaire s'ils accomplissent ponctuellement leurs périodes de service. Dans ces conditions, accomplir un service civil, même plus long, peut paraître à beaucoup une solution infiniment plus pépère que le port de l'uniforme et l'instruction au combat.

Quoi qu'il en soit, le service civil occupe le Conseil fédéral, les députés et les milieux militaires dans le cadre des débats relatifs à la nouvelle réforme de l'armée (Deva pour développement de l'armée): que faire pour rendre le service civil moins attractif et comment occuper les civilistes? Faut-il doubler la durée du service civil? Peut-on envoyer les civilistes travailler dans les écoles pour soulager les enseignants en surveillant les cours de récréation à leur place? La loi, qui interdit l'emploi des civilistes comme travailleurs bon marché est-elle respectée?

Toutes ces questions attestent à la fois du fiasco qu'est le service civil et du refus du système politique et militaire de voir la réalité en face. Doubler la durée de l'obligation de servir des civilistes aboutirait peut-être à une diminution des effectifs mais ne ferait pas disparaître l'inutilité foncière de l'institution. Trouver des occupations absurdes aux prétendues victimes d'un grave conflit de conscience contribuerait tout au plus à les démoraliser en leur montrant qu'en fait on n'a pas besoin d'elles. Quant à l'article 6 de la loi fédérale sur le service civil, qui définit les mesures propres à protéger le marché du travail, il n'est évidemment pas respecté. En effet, si les activités des civilistes dans les institutions dites d'intérêt public répondent à une véritable nécessité, indépendante de l'existence du service civil, elles doivent être exercées par des salariés, qui se heurtent donc bel et bien à la concurrence des braves petits jeunes engagés à leur place.

Tout le mal vient d'une conception erronée de l'obligation de servir qui ne devrait être que militaire pour des raisons de principe que nous avons évoquées à de réitérées reprises dans ces colonnes et sur lesquelles je ne reviens pas: le retour à la corvée du moyen âge, vous connaissez bien.

Or donc, les autorités civiles et militaires, au lieu de perdre leur temps à inventer des mesures ridicules pour assainir le service civil, devraient se pencher sur les moyens de convaincre le peuple suisse d'accepter une modification de l'article 59 de la Constitution fédérale, afin qu'on en finisse une bonne fois avec le «civilisme».

Mariette Paschoud

1 Il y avait 33'320 civilistes fin 2013, selon un article de Wikipédia apparemment bien documenté et référencé.

Thèmes associés: Ecole - Politique fédérale

Cet article a été vu 3242 fois

Recherche des articles

:

Recherche des éditions