Le lièvre et la tortue

 

Au moment où les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla ont commencé à être prises d'assaut par les premières grappes de «migrants», il y a une dizaine d'années, ces images ont frappé les esprits, mais on avait alors l'impression que c'était encore très loin. En 2011, lorsque les premières flottilles d'épaves chargées de milliers de personnes sont venues s'échouer sur les côtes italiennes de Lampedusa, en suivant exactement la prophétie du Camp des Saints, les Européens ont compté les kilomètres qui les séparaient de ce lieu de débarquement; avec un minimum d'aide, l'Italie allait sûrement pouvoir absorber la plus grande partie de ces demandeurs d'asile. Aujourd'hui, les envahisseurs sont à Vintimille, à Milan, à Chiasso. L'accord de Schengen, de facto, n'existe plus et les gouvernements se disputent pour savoir qui va les accueillir; on va essayer d'en refiler un maximum aux pays de l'Est, encore préservés de l'immigration.

Au début de leur apparition médiatique en Irak et en Syrie, il y a deux ans, l'Etat islamique et ses centaines de décapitations publiques apparaissaient terrifiants mais lointains. En janvier 2015, lorsqu'une vingtaine de chrétiens coptes ont été assassinés sur une plage de Libye, c'était déjà un peu plus près, mais on s'est rassuré en se disant qu'il y avait encore la Méditerranée entre eux et nous; et puis la «coalition internationale» emmenée par les Etats-Unis d'Amérique faisait semblant de bombarder les positions des terroristes.  Aujourd'hui, «Daech» est à peu près hors de contrôle et c'est en France, à 150 kilomètres de Genève, que les islamistes commencent à trancher les têtes qui ne leur reviennent pas. Sur nos écrans, quelques tragiques pitres officiels affichent des airs graves, savamment étudiés, dans l'espoir de nous persuader qu'ils maîtrisent la situation.

Tout cela était très loin; ce n'étaient que de vagues images, des informations, rien de concret. Et soudain, en moins de temps qu'il n'en fallait pour le dire, c'est arrivé chez nous.

Mais l'Europe n'en a cure et continue de s'occuper des problèmes vraiment importants. La justice condamne les pères surpris à donner une gifle à leur enfant. La police traque les citoyens qui révèlent les radars qu'ils ont vus au bord d'une route. On cogne les chauffeurs de taxis Uber et on brûle leurs voitures. On dénonce les comportements nuisibles à la santé, le mal-être des animaux, les inégalités entre les fortes minorités et les faibles majorités. On revendique le mariage pour tous, l'euthanasie pour les autres, les droits politiques des nourrissons et le revenu universel automatique. On poursuit les individus qui doutent des vérités officielles. On fait peur aux petits enfants avec la menace d'une invasion… russe.

Ayant du temps de reste pour brouter, pour dormir et pour écouter d'où vient le vent, la tortue laisse le lièvre se rapprocher à toute allure. Elle croit qu'il y va de son honneur de partir tard. Elle broute, elle se repose, et s'amuse à toute autre chose qu'à la gageure.

Pollux

 

Thèmes associés: Coups de griffe - Politique internationale

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