Ordre et contrordre

AL'interdiction faite aux écoliers genevois de cinq à sept ans de chanter L'Arche de Noé du compositeur britannique Benjamin Britten (1913-1976) dans le cadre d'un projet de l'Orchestre de chambre de Genève (OCG), au motif qu'ils seraient appelés à chanter des prières – par exemple: «Seigneur Jésus, souviens-toi de moi et lave-moi de mon péché.» – avait soulevé fin mai quelque émotion au bout du lac.

Le Département de l'instruction publique, de la culture et des sports, dirigé par la socialiste Anne Emery née Torracinta, avait choisi le juridisme et appuyé sa décision sur l'article 3 de la Constitution genevoise de 2012 et sur l'article 15 alinéa 4 de la Constitution fédérale de 1999.

Que dit l'article 3 de la Constitution genevoise?

Art. 3 Laïcité
1 L'Etat est laïque. Il observe une neutralité religieuse.
2 Il ne salarie ni ne subventionne aucune activité cultuelle.
3 Les autorités entretiennent des relations avec les communautés religieuses.

Que dit l'article 15 al. 4 de la Constitution fédérale?

4 Nul ne peut être contraint d'adhérer à une communauté religieuse ou d'y appartenir, d'accomplir un acte religieux ou de suivre un enseignement religieux.

On ne voit pas très bien en quoi le fait de participer à un événement culturel, même marqué religieusement, aurait violé l'une ou l'autre des dispositions précitées: l'OCG n'est pas, autant qu'on sache, une communauté religieuse. Chanter ne constitue pas un acte religieux. Il n'était nullement question de célébrer un culte, une messe ou une prière du vendredi, pas plus que de fournir une instruction religieuse. Enfin, les enfants de cinq à sept ans sont certainement suffisamment nombreux dans l'école publique genevoise pour qu'il soit possible de dispenser de participation à un spectacle ceux dont les parents en feraient la demande.

Alors, d'où venait donc cette interdiction absurde?

Une première explication tient à ce que le concept de «laïcité», tel que défini dans la Constitution genevoise mais aussi ailleurs, à savoir la neutralité religieuse, se pervertit et évolue chaque jour davantage – c'est particulièrement patent en France – vers un athéisme d'Etat, vers une lutte sans merci contre tout ce qui présente de près ou de loin un aspect religieux, en particulier chrétien, puisque le christianisme est encore pour quelque temps majoritaire dans nos contrées. Il faut un minimum d'intelligence pour comprendre que la neutralité en matière de religion est un principe d'égalité de traitement, non une arme totalitaire destinée à faire disparaître toute vie religieuse de la sphère publique. En l'occurrence, hélas, le bon sens fit totalement défaut.

La deuxième explication, qui ne contredit pas la première, d'ailleurs, est que le Département de l'instruction publique, de la culture et des sports genevois regorge d'idéologues aveugles et incultes, pour qui la seule religion qui mérite qu'on la pratique est celle qui voue un culte fanatique et dévoyé à la moderne trinité Démocratie, République et Laïcité.

Apparemment, Mme Anne Emery échappe à ce reproche: trois semaines après que la fameuse interdiction eut soulevé l'indignation de tous les amis de la culture, elle a annulé l'interdiction, reprenant à son compte un argument qui avait couru dans la presse et sur internet dès le 25 mai: si on voulait empêcher les écoliers de chanter l'Arche de Noé, il fallait aussi retirer des programmes scolaires le Cé qu'è lainô, l'hymne national et le Cantique suisse.

On ne peut que se réjouir de cette décision, mais il y a lieu de s'étonner: selon mon quotidien habituel citant le chef de l'autorité scolaire genevoise, «la commission [qui avait prononcé l'interdiction] avait agi sans consulter la direction générale du DIP ni sa magistrate».

C'est pas moi, m'sieu!

Apparemment, la Direction générale de l'enseignement obligatoire et la secrétaire adjointe au Département de l'instruction publique, qui avaient si on en croit 20 minutes1 et la Tribune de Genève2 respectivement assumé et expliqué la décision controversée, sont trop éloignées de la direction générale du DIP et de sa «magistrate» pour que celle-ci ait pu percevoir quelque écho de ce qui se passait. Et comme, semble-t-il, elle ne lit pas la presse, on conçoit qu'il lui ait fallu tout ce temps pour, «enfin mise au courant», désavouer, sans aucune préoccupation électorale bien sûr, sans avoir cédé à aucune pression naturellement, ses sous-fifres mal inspirés.

M.P.

1 25 mai 2015.

2 26 mai 2015.

 

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