Au-dessus de tout danger

Le Boeing 777 de la Malaysian Airlines abattu le 17 juillet 2014 au-dessus de l'est de l'Ukraine a été touché par un missile Buk de fabrication russe. Telle est la principale conclusion de l'enquête menée depuis une année aux Pays-Bas – car l'avion était parti d'Amsterdam – et elle confirme sans surprise ce que quasiment tout le monde pensait jusqu'ici. La zone d'où le missile aurait pu être tiré est estimée de manière plus ou moins ample et ne permet pas de définir avec certitude s'il s'agissait d'un territoire contrôlé par les forces ukrainiennes ou par les séparatistes.

Si l'on évoque ici l'enquête sur cette catastrophe, c'est qu'elle illustre la bêtise, la mauvaise foi et le parti pris dont sont capables les êtres humains – des plus hauts dirigeants aux plus simples citoyens – et le désintérêt qu'ils éprouvent à chercher honnêtement et intelligemment la vérité. Les Etats-Unis et leurs alliés européens ont exploité cet événement pour accuser la Russie. Cette dernière s'est défendue de manière maladroite, en faisant feu de tout bois pour contre-accuser l'armée ukrainienne, avec des imprécisions prêtant le flanc à la critique. Dans la presse, chacun y va de son interprétation tendancieuse, en déformant certaines informations et en éludant une partie des faits pour ne retenir que ceux qui servent la thèse choisie. Quant au vulgum pecus, il répète benoîtement ce qu'affirment les médias lorsque cela lui plaît, et sinon il se lance dans les théories les plus folles et les moins crédibles – certains ont disserté sur l'identité mystérieuse de certains passagers, d'autres ont prétendu que les corps retrouvés au sol étaient des mannequins –, l'invective faisant souvent office de principal argument.

Face à ce triste spectacle, on peut heureusement signaler la qualité de l'article que l'encyclopédie en ligne Wikipedia consacre à cette affaire1; c'est amplement et prudemment documenté, avec de nombreux éléments laissant envisager un tir accidentel, soit des séparatistes, soit des forces ukrainiennes.

Le vraisemblable contre l'invraisemblable

Le problème est que certains veulent à tout prix impliquer la Russie. Le gouvernement ukrainien aurait invoqué des «preuves suffisantes», un «acte terroriste», une «opération des services secrets russes». Mais personne n'explique quel aurait été l'intérêt des Russes à abattre volontairement un avion civil dans des circonstances pouvant les désigner comme coupables, eux ou leurs alliés séparatistes. D'autres commentateurs admettent la thèse d'un accident, mais accusent Moscou d'avoir fourni la batterie de missiles et le personnel pour l'exploiter. Or, si la Russie a livré des armes aux séparatistes, il s'agissait certainement de chars, d'armes légères, de canons de DCA, voire de missiles portatifs de courte portée; en revanche, une batterie – une seule, selon les accusations occidentales – de missiles lourds et de longue portée n'avait guère d'utilité dans le contexte de ce conflit. Sachant que les séparatistes s'étaient vantés, peu de temps auparavant, de s'être emparés d'un lance-missiles Buk ukrainien, et que par ailleurs le Donbass abritait encore d'importants stocks de l'armée ukrainienne, la thèse d'un Buk ukrainien apparaît bien plus probable que celle d'un missile apporté directement de Russie. On suggère aussi que les séparatistes n'auraient pas eu la capacité de déclencher un tel tir sans l'assistance d'officiers russes; curieuse affirmation, dès lors qu'un certain nombre de soldats séparatistes servaient autrefois dans l'armée ukrainienne, laquelle possédait des batteries de missiles Buk. Au surplus, le fait que ce missile soit allé frapper par erreur un avion de ligne laisse planer un soupçon d'amateurisme, qui cadre mal avec l'intervention de soldats russes spécialisés.

Ces réflexions ne débouchent pas sur des certitudes absolues, mais elles ont le mérite d'être logiques, contrairement aux hypothèses impliquant l'armée russe – ou à celles qui supposent un acte volontaire des Ukrainiens, d'ailleurs –, qui apparaissent peu vraisemblables.

Une zone en guerre, c'est dangereux

Pourquoi alors ne pas s'en tenir à la probabilité d'un accident causé soit par les séparatistes,  soit par l'armée ukrainienne, avec du matériel émanant – dans un cas comme dans l'autre – de l'armée ukrainienne? Ce scénario peut parfaitement s'accorder avec les conclusions présentées ces derniers jours par les enquêteurs hollandais.

Surtout, plutôt que de se focaliser sur la recherche de coupables que personne n'est capable de désigner avec certitude, pourquoi ne pas admettre qu'un tel accident découle des risques inhérents à toute zone de guerre? Car la destruction de l'avion malaysien a certes entraîné la mort tragique de près de trois cents personnes, mais la guerre menée par Kiev contre les séparatistes du Donbass a aussi tué plusieurs milliers de civils innocents, sans qu'aucune enquête ne soit ouverte et sans que les médias occidentaux s'en émeuvent. C'est la guerre! La guerre tue…, dit-on en haussant les épaules. Précisément: un avion civil rempli de passagers n'avait pas à survoler une zone de guerre. Le rapport d'enquête hollandais pointe la responsabilité des autorités ukrainiennes, qui auraient dû fermer l'espace aérien au-dessus du Donbass. Les compagnies aériennes qui empruntent des routes risquées portent elles aussi une part de responsabilité. Des accidents sont déjà survenus par le passé – comme en 1988 lorsqu'un croiseur américain a abattu un Airbus iranien confondu avec un F-14.

Aujourd'hui, la plupart des vols civils évitent le territoire syrien. Mais pas tous: pour certains, le détour serait trop grand.

Pollux

1 fr.wikipedia.org/wiki/Vol_17_Malaysia_Airlines

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