Le Temps de la Patience (2)

Chose promise, chose due: je vais vous en dire un peu plus sur le dernier Cahier de la Renaissance vaudoise consacré aux écrits théologiques de l'ancien président du Mouvement de la Renaissance vaudoise Marcel Regamey.

Tout d'abord, pourquoi ce recueil d'articles parus entre 1942 et l982 s'intitule-t-il Le Temps de la Patience1? Ce n'est pas du tout parce qu'il a mis beaucoup de temps à sortir, comme me l'a suggéré une fort impertinente jeune personne. C'est parce qu'ainsi s'intitule la deuxième  partie d'Evangile et Politique2, rédigé par Marcel Regamey en 1973, qui décrit les différents aspects de l'ordre, certes précaire, imparfait et soumis au Mal, qui régit la vie de l'humanité depuis la Chute, puis la dispersion consécutive à la construction de la Tour de Babel, en attendant l'avènement du Royaume de Dieu.

Il n'est évidemment pas possible de résumer un tel ouvrage ni d'analyser les septante-sept articles retenus pour Le Temps de la patience. Il y faudrait un livre et des compétences que je n'ai pas. Mais les sujets traités montrent bien que l'auteur s'intéresse aux questions théologiques en tant qu'elles sont liées aux réalités du monde et non comme à des abstractions  destinées à une petite minorité d'intellectuels seuls aptes à les comprendre ou à en débattre. L'aspect social, moral, politique, juridique voire historique des choses n'est jamais absent des considérations sur telle ou telle question religieuse. L'article sur le divorce3, daté du 29 mars 1962, en est une bonne illustration: le principe de l'indissolubilité du mariage est intangible pour l'Eglise catholique et entraîne l'impossibilité pour un divorcé de faire bénir une nouvelle union aussi longtemps que son conjoint est vivant, sauf reconnaissance de la nullité du premier mariage à des conditions précises. D'autres Eglises sont plus partagées ou plus tolérantes. Voici ce qu'en dit Marcel Regamey:

Ces divergences montrent la complexité du problème.

Le nœud de la question nous paraît résider dans la fiction du mariage chrétien pour nombre de cas, pour ne pas dire la plupart. A cette fiction, l'Eglise participe en acceptant de prêter son ministère à la quasi-totalité des mariages (…)

Sans en faire une question de principe, nous serions d'avis que la cérémonie publique du mariage ne peut se répéter aussi longtemps qu'un des époux est vivant, mais pour sauvegarder la réalité derrière les apparences, la religion chrétienne étant celle de la vérité, on ne peut exclure absolument que le second mariage soit le véritable au sens chrétien du terme. En ce cas, les nouveaux époux comprendront d'autant mieux qu'une nouvelle cérémonie à l'église ne convient pas et choisiront des formes plus modestes pour placer leur union dans l'esprit de l'Evangile. Aussi bien, la présence d'un ministre du culte n'est jamais indispensable. (…) De sorte que, réellement, la question de savoir si l'Eglise doit marier les divorcés est une pseudo-question. (…)

La doctrine traditionnelle devrait demeurer la règle des époux chrétiens; mais imposée du dehors à des ménages indifférents ou inconséquents, elle risque d'accroître le désordre des mœurs.

On me pardonnera cette longue citation, mais elle m'a paru nécessaire pour montrer à quel point Marcel Regamey – qui, je le rappelle, était un protestant pratiquant –, tout en étant ferme sur la doctrine, est capable de tenir compte des contingences imposées par l'ordre de la patience de Dieu et de tolérer, au sens réel du terme, des désordres de moindre importance pour éviter des désordres plus graves. Marcel Regamey n'est pas un censeur. Il sait que, s'il faut tendre vers le bien en toutes choses, le Mal ne pourra être vaincu avant la parousie, et qu'on ne peut, pour le moment, que lutter dans la mesure du possible contre des maux.

Ce réalisme, cette faculté de remettre l'église au milieu du village, cette hauteur de vue se retrouvent tout au long de l'ouvrage, lequel se termine, par une admirable Adresse à Notre Dame dont je vous livre la conclusion:

Tout en vous est grâce du Seigneur. Combien vain de vous attribuer des mérites. Votre seul mérite est d'avoir dit un oui qui ne comportait aucune ombre de non. Que le nôtre soit à la mesure de l'humilité du vôtre.

Et c'est à cet homme que la pusillanime commune d'Epalinges, tout en conservant son Chemin Marcel Regamey pour complaire aux uns, a retiré, pour complaire aux autres, en particulier à un nain politiquement correct sot et ignorant, les qualités de «patriote» et «humaniste» à l'une des personnalités les plus éminentes de notre canton.

Je me console à la pensée que Marcel Regamey doit en rire de bon cœur dans sa tombe de Valeyres-sous-Rances.

M. P.

 

1 CRV no 150, 352 pages, CHF 36.- (+ port CHF 3.-), Place du Grand-Saint-Jean 1, Case postale 6724, CH-1002 Lausanne, tél. 021 312 19 14, fax 021 312 67 14, www.ligue-vaudoise.ch.

2 CRV no 85, 1973.

3 P. 38

Thèmes associés: Notes de lecture - Religion

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