L’affaire Polanski

L’arrestation, samedi 26 septembre 2009 à Zurich, du cinéaste franco-polonais Roman Polanski, aura un mérite durable et en cela, elle reste un cas d’école digne de figurer dans nos mémoires. Le cœur de la question est la prescription. C’est en effet autour de ce thème unique que s’est développée la polémique, et non à propos du simple respect de la légalité internationale et nationale. Les deux camps sont réellement irréconciliables. Il est évident que l’application régulière du droit ne peut susciter ni scandale ni contestation d’aucune sorte, à supposer, naturellement, que la norme de fond soit elle-même légitime sur le plan moral. Or le crime pour lequel cet artiste est poursuivi aux Etats-Unis est incontestable. Un retrait de plainte du lésé est en l’occurrence inopérant et ne constitue pas un argument en faveur de l’impunité: ce serait, dans ce cas, porter une atteinte très grave à la sécurité du droit, dont tous doivent pouvoir bénéficier même contre leur volonté.

Mais, nous le constatons, les défenseurs de Polanski et lui-même d’ailleurs, apparemment, sont totalement imperméables à ce type de raisonnement. Pour eux, qu’il y ait ou non imprescriptibilité de l’action pénale, peu importe. On ne juge pas un homme de septante-six ans pour un crime commis trente-deux ans auparavant. Ceci a l’air d’un principe; en réalité, c’est une revendication très dangereuse de privilège crapuleux lié à une situation d’excellence mondaine. Les défenseurs de Roman Polanski ne semblent pas se rendre compte qu’ils reproduisent très fidèlement le comportement de la haute aristocratie de cour à Versailles lors de l’arrestation du cardinal de Rohan dans l’affaire du collier de la reine. Louis XVI n’était plus reconnu apte à exercer son droit de punir dès lors que celui-ci s’appliquait à un membre particulièrement illustre de l’aristocratie de cour (cf. encadré).

Ce fut le prélude juridique à la Révolution…

Nos artistes, nos ministres français et polonais, se comportent avec l’insolence et la désinvolture des grands de Versailles en faveur du cardinal de Rohan, dont le rôle est tenu aujourd’hui par le célèbre cinéaste. Ils excusent le crime et veulent qu’on le déclare impunissable non pas au nom du droit mais des œuvres de l’accusé. Cette excuse est l’équivalent de celle de la naissance du prélat arrêté à Versailles.

Nous saisissons ainsi l’essence de la question soulevée par cette arrestation. Quand une aristocratie exige l’impunité au nom de ce qu’elle estime sa propre excellence, l’atteinte au droit supérieur de l’Etat à faire respecter sa loi rend nécessaire sa confrontation directe avec les tenants d’un privilège odieux. Car il est dans ce cas de l’intérêt public d’humilier les grands afin de conserver l’estime des petits et des humbles, pour ne pas les pousser à la révolte ni égarer leur conscience par le scandale. On mesure très exactement la santé et la viabilité d’une société à ce genre de défi.

Ce n’est donc pas un hasard si une telle exigence apparaît aujourd’hui. Notre pays garde toutes ses chances de respectabilité.

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