Réforme de l'orthographe
Il était temps! Nos amis français, ayant renoué avec la croissance économique, vaincu le chômage et résolu les problèmes liés à la vague migratoire, ont pu enfin s'attaquer à la question prioritaire de l'orthographe, qu'ils avaient honteusement négligée depuis plus de quinze ans.
La question doit commencer par un constat: la langue française est compliquée. La graphie de certains mots ne correspond pas à leur prononciation et il y a une part d'arbitraire dans leur orthographe. Il n'y a pas de bonnes raisons d'écrire des ayants droit sans trait d'union, et avec un «s» à ayant, ni événement avec deux accents aigus, ni imbécile avec un seul «l» alors qu'imbécillité en prend deux.
Il y a en revanche des raisons étymologiques d'écrire rhétorique, rhododendron, rhapsodie ou rhinite, parce que ces mots viennent du grec et que la lettre «Ï» (rhô) avec un esprit rude a donné des mots débutant par «rh». Mais même cette raison est une convention arbitraire. Pourquoi la lettre grecque «Ï†» (phi) a-t-elle donné naissance à des mots français commençant par «ph»? On pourrait écrire Foto, comme les Allemands ou farmacia comme les Italiens.
Il faut des règles dont la permanence relative permette à un lecteur du XXIe siècle de lire sans difficulté une comédie de Molière, quand bien même celui-ci écrivait des enfans alors qu'on écrit aujourd'hui des enfants. Mais les règles ont une autre utilité et c'est d'ailleurs pour ce motif qu'elles sont décriées: elles permettent de démasquer l'inculture.
Pour les réformateurs, la culture est un privilège de classe, ou de caste, et le respect des règles est de nature à stigmatiser ceux qui n'ont pas bénéficié, par manque de moyens financiers ou à cause d'un milieu social défavorisé, des bienfaits de M. Littré et de M. Grevisse.
Il n'est pas nécessaire de croire en l'existence d'un complot international visant à éradiquer la civilisation européenne au profit d'une gouvernance mondiale dirigée par les marchands. Il suffit de constater la baisse inéluctable des exigences scolaires dans tous les domaines de la connaissance et la haine des pédagogues contemporains pour toutes les règles, si ce n'est celle de l'épanouissement des élèves. Le plus grotesque de cette réforme de l'orthographe est qu'elle sera facultative! Ils n'ont même pas le cran de nous imposer leurs ognons et leurs nénufars! Le refus des normes est poussé à son comble. Il ne faut brimer personne et chacun écrira comme il le voudra.
Mais ces cuistres ne se rendent pas compte que cette liberté contribuera à enfermer définitivement dans un ghetto tous ceux qui auront choisi d'adopter, volontairement ou inconsciemment, l'orthographe rénovée. Car les autres, ceux qui continueront à mettre un circonflexe sur faîte et sur maître, vont considérer les «réformés» comme des ploucs qui, par paresse ou par inculture, se seront refusés à un effort, celui d'apprendre l'orthographe française.
Claude Paschoud