Réflexion lente

Du temps déjà ancien de mes études de droit, il était enseigné que les contrats devaient être respectés. C'est le principe pacta sunt servanda et il était simple à comprendre. On disait: «Si vous n'êtes pas sûr de vouloir conclure, ne signez pas, ne dites pas: oui!» Mais peu à peu, sous la pression des associations de consommateurs, ont été introduites dans la loi plusieurs dispositions permettant à l'acquéreur d'un bien mobilier ou d'un service qui lui a été proposé chez lui, ou sur son lieu de travail, ou lors d'une manifestation publicitaire liée à une excursion, de révoquer son offre ou son acceptation.

C'est ainsi qu'on a introduit dans le Code des obligations, le 1er juillet 1991, les articles 40a à 40g, qui permettent au consommateur, à certaines conditions, de changer d'avis dans un délai de sept jours après avoir signé le contrat. Est-ce une exception au principe pacta sunt servanda? La Commission des affaires juridiques du Conseil des Etats ne semble elle-même pas très au clair sur ce point. Dans son rapport du 14 novembre 2013, elle commence par écrire: «La commission ne considère pas le droit de révocation qu'elle souhaite introduire comme une exception au principe général qui veut que les accords doivent être respectés (pacta sunt servanda) mais comme une condition essentielle et une justification de ce principe.»1 Plus loin: «Comme sous le droit en vigueur, le droit de révocation est un droit formateur unilatéral de révoquer la manifestation de volonté (et non le contrat).»2… Mais quelques pages plus loin, au sujet du contrat des art. 406a et suivants du Code3: «Jusqu'à l'expiration du délai de révocation, le contrat existe mais sous réserve que le mandant ne fasse pas usage de son droit de révocation: il ne serait pas possible de révoquer un contrat qui n'existerait pas.»4

Finalement, les experts de la couronne ne savent pas eux-mêmes si les contrats conclus sont pourvus d'une condition suspensive ou d'une condition résolutoire, si la révocation est un retrait de son offre (ou de son acceptation), qui empêche donc le contrat de naître, ou une révocation du contrat lui-même, qui tue l'accord qui venait de naître.

Ce qui devait être une protection des consommateurs est devenu, à l'usage, un piège subtil. Les gens n'y ont rien compris. Ils se sont imaginé qu'on pouvait signer n'importe quel contrat n'importe où et changer d'avis dans un certain délai. Il a fallu leur expliquer que le contrat conclu au Comptoir suisse pour l'achat d'un salon en cuir ne pouvait être annulé unilatéralement; ni la proposition d'assurance sur la vie conclue à leur domicile par un vendeur insistant, ni le contrat conclu par téléphone!

A la suite de l'initiative déposée le 21 juin 2006 par le conseiller aux Etats Pierre Bonhôte, le Parlement a accepté d'étendre le droit de révocation aux engagements pris «par téléphone ou par un moyen semblable de télécommunication vocale instantanée»5.

Mais le Parlement a profité de cette modification pour étendre de sept à quatorze jours le délai de réflexion au cours duquel le consommateur est autorisé à renoncer au contrat conclu.

Après d'âpres débats, et malgré une recommandation européenne, le Parlement a renoncé à étendre à tous les contrats conclus à distance (notamment les contrats conclus par internet) la règle sur le droit de révocation. Les associations de consommateurs sont consternées. Dans le dernier numéro de Bon à savoir6, Mme Barbara Venditti écrit: «Il reste malheureusement certains domaines où il lui [au consommateur] est malheureusement impossible de revenir en arrière. On pense surtout aux commandes passées sur internet. Sur ce point, la Suisse accuse un retard évident sur l'Union européenne où les consommateurs peuvent exercer leur droit de rétractation dans un délai de quatorze jours.»

Le problème est double. Faut-il étendre le droit de rétractation aux contrats conclus à distance, notamment par internet, voire à tous les contrats? Ce droit de rétractation, ce temps de réflexion, doit-il durer trois, sept ou quatorze jours?

Sur le premier point, les jérémiades de Mme Venditti n'ont pas de fondement. Le consommateur qui surfe sur la toile dans son fauteuil n'est pas soumis à la pression psychologique du vendeur qui l'incite à signer immédiatement. Il peut prendre son temps,  comparer les offres, et finalement commander calmement en toute connaissance de cause. S'il veut réfléchir sept ou quatorze jours, il peut le faire avant la commande. De ce point de vue, et s'il existe un délai de rétractation, on pourrait plutôt en faire bénéficier l'acheteur au Comptoir suisse ou au Salon des Arts ménagers, ou encore l'acquéreur d'une voiture automobile qui subit de la part du vendeur rétribué à la provision une pression à laquelle il croit pouvoir n'échapper qu'en signant le contrat.

Une autre question est l'allongement du temps de réflexion pendant lequel l'acquéreur peut renoncer à l'achat. Pense-t-on vraiment que le consommateur est inapte à juger si son acceptation était raisonnable pendant les sept jours qui suivent son achat, mais que son intelligence sera plus vive pendant la semaine suivante? Déjà qu'on le traitait (à l'époque des sept jours) comme un demeuré, il passe aujourd'hui pour un idiot intégral.

Mais il y a plus grave: le vendeur imprudent va offrir sa prestation sans attendre, mais au jour de la rétractation du client, dans le délai légal, il faudra restituer l'objet, éventuellement payer un loyer s'il a été utilisé. Et s'il s'agit d'une prestation qui ne peut être restituée? Quid? Le CD ou le livre a pu être copié. Qu'en est-il des droits intellectuels?

Le vendeur prudent va refuser de livrer l'objet (dont le consommateur a pourtant un besoin urgent) avant le délai allongé de quatorze jours. L'agence matrimoniale va refuser d'effectuer une recherche dans son fichier ou de mettre en relation deux adhérents de son organisation avant quatorze jours. Il lui est même interdit d'accepter un paiement avant cette échéance, alors même que le mandant est impatient de rencontrer l'âme sœur.

Et voilà comment le consommateur, considéré comme un débile incapable de prendre une décision d'achat raisonnable sans y réfléchir longuement, se tire une balle dans le pied, volontairement, en repoussant d'une semaine supplémentaire le délai de livraison du produit convoité.

L'expérience a démontré que toute invention législative destinée à «protéger» une partie de la population, réputée faible, contre une autre, jugée plus puissante, se retourne contre les intérêts de la partie protégée. C'est ainsi que les règles instituées pour lutter contre les abus dans le secteur locatif ont découragé les investisseurs de construire des logements, lesquels sont devenus donc rares… et chers! C'est de même pour cette raison que les règles interdisant, en France, le licenciement d'un employé en CDI empêchent l'embauche et aggravent le chômage.

Claude Paschoud

 

1Feuille fédérale, FF 2014 897, chiffre 3.1.

2Ibid, page 904, chiffre 5.1.

3Mandat visant à la conclusion d'un mariage ou à l'établissement d'un partenariat.

4FF 2014 916.

5Art. 40b al. 1 lettre d (RO 2015 4107).

6Bon à savoir n° 2 (février 2016), page 24.

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