Editorial

Dans le numéro d'avril de Bon à savoir, magazine de défense des consommateurs, Mme Zeynep Ersan Berdoz, rédacteur en chef, s'exprime à propos de l'initiative «En faveur du service public», qui sera soumise au vote le 5 juin. «Le service public est aujourd'hui défendu par les milieux non partisans, par ceux qui sont à l'écoute des consommateurs, à la fois citoyens et, pour beaucoup, employés d'un système qui, tout doucement, part à la dérive», nous dit-elle.

Milieux non partisans? Il y a belle lurette que les lecteurs de Bon à savoir savent que les rédacteurs de ce magazine, par ailleurs intéressant à de multiples égards, sont gens de gauche. On en veut pour preuve cette profession de foi de la même brave dame pour qui, «dans le schéma politique suisse, comme dans toutes les démocraties riches et modernes, la défense des travailleurs et le rejet des arrangements politiques opaques sont traditionnellement les combats des partis de gauche, socialistes en tête, avec l'appui des syndicats».

Hélas! en ce qui concerne le service public, «les têtes pensantes de la gauche et les syndicats se livrent au même jeu que ceux qu'ils avaient pour vocation de critiquer» et «si leurs plus illustrent (sic! l'indignation sans doute) représentants admettent les problèmes (…), ils ne veulent cependant rien entendre des solutions proposées».

On conçoit l'amertume des milieux de défense des consommateurs. Leur gauche idyllique est infidèle à ses «valeurs». Quelle désillusion!

L'initiative «En faveur du service public» tire son origine d'un constat: les entreprises dans lesquelles la Confédération est actionnaire unique ou majoritaire – La Poste, les CFF, Swisscom – coûtent de plus en plus cher et fournissent des prestations de moins en moins satisfaisantes. Il faut donc – simplifions – empêcher ces entreprises de poursuivre un but lucratif et leur interdire de verser à leurs collaborateurs des rémunérations supérieures à celles que touchent les collaborateurs de l'administration fédérale.

Ces mesures devraient limiter les coûts. L'argent ainsi économisé permettrait d'éviter, par exemple, la hausse des frais postaux et des billets de chemin de fer, ainsi que la suppression d'offices de poste et de guichets de gare.

Apparemment, les initiants partent du principe que les entreprises de la Confédération s'efforcent de gagner de l'argent dans le seul but de dépouiller leurs clients et d'engraisser leurs actionnaires. Ils postulent que la masse salariale de ces entreprises diminuerait dans des proportions considérables si les quelques gros bonnets qui gagnent des fortunes ne touchaient pas plus qu'un conseiller fédéral.

Illusions!

Nous trouvons nous aussi agaçant que l'office de poste de notre quartier ait été supprimé, même si certaines prestations de La Poste sont prises en charge par un kiosque voisin. Nous trouvons également très déprimant de voir grimper régulièrement le prix de notre abonnement demi-tarif et de nos nombreux billets de train.

Mais il ne faut pas oublier que, parallèlement, La Poste offre quantité de services, notamment par internet, qui facilitent grandement la vie des usagers et qui ont un coût; que les CFF ont considérablement augmenté la cadence de leurs trains, ce qui implique une modernisation et un contrôle accru des infrastructures ferroviaires; qu'il n'y a rien à dire contre Swisscom, dont les tarifs, globalement, ne dépassent pas ceux des autres opérateurs, et dont les collaborateurs sont toujours extrêmement aimables, serviables, patients et efficaces. 

Le problème de ces entreprises et les mécontentements qui en découlent viennent de ce que les anciennes régies fédérales ont fait l'objet d'une privatisation partielle et qu'elles sont liées à la fois par les objectifs que leur fixe le Conseil fédéral et par les lois du marché.

Pour sortir de ce mélange des genres, il n'y a que deux solutions: revenir à l'ancien système des régies monopolistiques – on verrait alors les défenseurs des consommateurs se plaindre de la prise en otage des usagers et du recours à l'argent des contribuables en cas de difficultés financières – ou privatiser complètement La Poste, les CFF et Swisscom – ce qu'aucun défenseur des consommateurs  «non partisan» ne saurait évidemment tolérer.

Le système actuel n'est finalement pas si mauvais et on se réjouit que, pour une fois, la gauche ait préféré le bon sens aux illusions.

Mariette Paschoud

Thèmes associés: Economie - Politique fédérale

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