Payés pour arranger la réalité

Lorsqu'on se promène dans les rues de Moscou, on croise un certain nombre de gens dont l'âge laisse supposer qu'ils ont exercé une activité professionnelle à l'époque communiste. Beaucoup d'entre eux ont probablement été fonctionnaires. En tant que tels, ils ont sans doute été amenés à tricher et à mentir, à expliquer que tout allait bien lorsque beaucoup de choses allaient mal, à rassurer des citoyens qui avaient de bonnes raisons de s'inquiéter. Ils ont peut-être aussi arrêté, emprisonné, voire malmené ceux qui faisaient preuve d'un esprit trop critique envers le régime au pouvoir.

Ces gens que nous, Occidentaux, regardions autrefois sur des photos d'époque, nous les voyons soudain en chair et en os. Jeunes retraités encore alertes, imperméable sobre et casquette en laine, parfois une serviette à la main, ils ont de bonnes têtes de braves gens; ils s'écartent pour nous laisser passer et tiennent parfois leurs petits-enfants par la main. On peine à imaginer qu'ils aient fait du mal dans leur vie. Et pourtant ils en ont fait, certains d'entre eux tout au moins, parce qu'ils étaient placés dans des situations où ils pouvaient difficilement faire autre chose, parce qu'ils avaient une famille à nourrir, parce qu'ils ne voulaient pas avoir d'ennuis et qu'ils n'étaient pas des héros. Rien ne sert de les juger; pour autant, on aurait tort de ne pas méditer sur cette ambiguïté de l'être humain.

Ces réflexions nous sont venues à l'esprit au moment où nous avons parcouru les articles que la presse romande a récemment consacrés à l'agression d'un policier lausannois, en pleine rue, par un groupe d'immigrés. Les faits s'étaient déroulés une année plus tôt, en 2015, mais la séquence vidéo filmée par un passant s'est répandue ces dernières semaines sur les réseaux sociaux, forçant les journalistes à s'y intéresser. Le passage qui nous a fait réagir est celui-ci:

«Les altercations de cette nature sont très rares», rassure Sébastien Jost [porte-parole de la police municipale de Lausanne].

M. Sébastien Jost ne nous «rassure» pas: tout le monde sait qu'il ment et que de tels cas se multiplient un peu partout. Il ne nous rassure pas car nous avons pris l'habitude d'entendre les porte-parole de la police nous raconter des bobards censés permettre à leur hiérarchie de sauver la face.

Mais un jour, peut-être, lorsque le monde dans lequel nous vivons aura changé, des gens le croiseront dans la rue et se demanderont quelles basses besognes il exerçait durant les années sombres.

Pollux

Thèmes associés: Histoire - Immigration - Société

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