Le revenu de base inconditionnel

La proposition du comité d'initiative pour un revenu de base inconditionnel (RBI) est à la fois surprenante, pleine de promesses pour une société plus juste, et probablement utopique. Mais de quoi s'agit-il et sur quel texte voterons-nous le 5 juin prochain?

Le texte de l'initiative est bref: il s'agirait d'introduire dans la Constitution un article 110a qui aurait la teneur suivante:

  1. La Confédération veille à l'instauration d'un revenu de base inconditionnel.
  2. Le revenu de base doit permettre à l'ensemble de la population de mener une existence digne et de participer à la vie publique.
  3. La loi règle notamment le financement et le montant du revenu de base.

On observe que l'ensemble de la population n'est pas une notion clairement définie. Il n'est pas précisé non plus que le RBI devra être alloué à l'ensemble de la population, mais que ce revenu, dont les bénéficiaires seront déterminés par la loi, devra permettre à la population (y compris les migrants sans papiers? y compris les touristes?) de mener une existence digne.

On ignore aussi, à ce stade, le montant du revenu de base et son financement, puisque ces «détails» devront être réglés dans une loi dont le Parlement n'est évidemment pas encore saisi. Mais on a déjà quelques chiffres et les experts planchent sur une alternative essentielle. Selon la plupart des commentateurs, le RBI pourrait être de Fr. 2'500.- par mois par adulte et de Fr. 650.- par mois par enfant. L'alternative est la suivante: soit le RBI est intégré dans le revenu actuel, et dès lors seuls en seront bénéficiaires ceux dont les revenus aujourd'hui sont moindres, soit le RBI sera une base à laquelle s'ajouteront les revenus d'une activité lucrative.

Dans l'un ou l'autre cas, le financement devra être assuré par des transferts de ressources (introduction de taxes nouvelles ou augmentation d'impôts, suppression de prestations actuelles, suppression de services administratifs) et non par la création de monnaie. L'argent ne tombe pas du ciel et les seules ressources de la Confédération sont celles qu'elle puise dans nos poches.

L'idée fondamentale des initiants semble être la suivante: les avancées du progrès technique, les gains de productivité engendrés par la quatrième révolution industrielle que nous vivons aujourd'hui permettront de travailler moins tout en produisant toujours autant. Il n'y aura plus de places de travail à quarante-cinq heures par semaine pour tout le monde. Dès lors, plutôt qu'une partie de la population qui trime à plein temps et une autre partie qui perçoit des allocations en ne travaillant pas du tout, on aura une population qui pourra moduler son taux d'activité lucrative en fonction de ses priorités fondamentales. Grâce au RBI (et à condition qu'on adopte la variante où le RBI s'ajoute au salaire), le papa pourra s'occuper de ses enfants à mi-temps ou partir à la pêche chaque vendredi matin.

Les deux variantes du système ne coûteront pas le même prix, mais il est évident que, pour l'une ou l'autre, le revenu de base (permettant à certains de travailler moins ou de ne pas travailler du tout) sera financé par ceux qui travaillent. C'est déjà aujourd'hui le système de l'AVS, mais les bénéficiaires de cet impôt (qui masque sa vraie nature fiscale en se désignant comme une assurance) sont identifiés par leur âge et non par un libre choix.

La première cellule sociale, la famille, est une communauté qui fonctionne sur le principe à chacun selon ses besoins et non pas selon ses mérites. Les petits enfants ne produisent rien et ils sont entretenus gratuitement.

On a le sentiment que l'initiative en faveur du RBI veut reproduire sur l'ensemble de la Confédération le schéma communautaire de la famille. Il y aurait ceux qui travaillent, qui ont la chance d'occuper un emploi. Ce sont les parents. Ils paient sans contrepartie. Ils entretiennent, grâce aux impôts prélevés sur leurs revenus, ceux qui ne veulent ou ne peuvent travailler. Ce sont les enfants – ou les adultes sous curatelle –, qui reçoivent chaque semaine leur argent de poche ou leur allocation.

Mais ce qui est possible dans des communautés très petites (famille, village), où les membres sont unis par l'affectio societatis, ne le sera plus à l'échelle de la Confédération. Les villageois actifs sont disposés à entretenir le Loyon, sorte de demeuré dont la rente AI est insuffisante, mais ils n'entretiendront pas cinquante migrants venus d'Erythrée, quand bien même chacun d'eux est une personne éminemment sympathique, ou cinquante glandeurs à cheveux longs, piercings et guitare.

En outre, le revenu tiré de l'activité lucrative est la mesure de notre utilité sociale.

Si le RBI est adopté le 5 juin prochain, je pense que la loi n'entrera pas en vigueur avant que mes petits-fils arborent une longue barbe blanche.

Claude Paschoud

Thèmes associés: Economie - Politique fédérale

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