Le DEVA sous référendum, aux Romands qui doutent…

L'essentiel de la discussion sur le DEVA1 – Développement de l'armée – s'est mené en Suisse alémanique, fort peu en Suisse romande. C'est évidemment dommage. Il est vrai que les quelques chefs militaires romands, actifs ou retraités, qui furent contactés pour rejoindre les citoyens inquiets de l'évolution de notre sécurité opposèrent des réponses qui oscillaient entre «oh, mais l'armée a changé, tu dois suivre» et «oh, vous savez, je suis comme Moshe Dayan: je ne vois plus l'armée que d'un œil» ou encore «j'ai changé de vie, je joue du piano». Bref….

Un seul représentant romand siège au sein d'un groupement de camarades suisses alémaniques, officiers ou simples soldats, lesquels se réunissaient en 2010 sous l'étiquette de Groupement Giardino, groupe apolitique qui milite en faveur de l'armée de milice. 

La réforme annoncée depuis 2010 fait suite à trois autres réformes, qui ont mis l'armée à genoux2. Il suffit d'écouter les militaires en service, d'apprendre des manquements logistiques graves – les militaires «disparus» des registres; un commandant de compagnie, de religion musulmane, entré en service en tenue noire; un avion détourné sur l'aéroport de Genève sans que l'escadre de surveillance soit alarmée, par exemple –, pour constater qu'en effet quelque chose devait être entrepris. Cette réforme DEVA a donc été lancée depuis 2010, à la suite d'un rapport sur la situation géopolitique. A cette époque, tout ou presque était calme. Depuis, cette situation a complètement changé avec les affaires de Libye, de Syrie et du Daech, du Mali, de l'Ukraine.

Si on considère les rapports géostratégiques actuels, force est de constater que tous les pays européens, de près ou de loin, se réarment. La menace se fait plus réelle, plus évidente, renforcée qu'elle est par une immense vague d'immigration, dont on ne voit pas la fin.

Dès lors, il devenait évident, en tout cas pour le Groupement Giardino et l'association Pro Militia, que réduire encore les effectifs de notre armée était une démarche dangereuse et en contradiction avec l'art. 58 de la Constitution fédérale, laquelle indique que l'armée a la mission de défendre le pays.

La comparaison d'une armée de milice avec les armées de métier européennes ne tient pas: notre économie ne saurait mettre en ligne les 100'000 hommes du DEVA. Il faudrait se contenter d'un quart des troupes au mieux.

A la question de savoir comment le commandement de l'armée ferait avec un effectif réduit à 100'000 hommes lors d'une crise prolongée, les contradicteurs n'apportent pas réponse! Comment s'y prendraient-ils pour protéger les quelque mille objets d'importance régionale ou nationale – centrales nucléaires, gares, hôpitaux, parlements, postes de police, dépôts militaires, axes routiers et tunnels, centres de distribution des vivres et j'en passe?

L'armée qui fut décidée et votée par le peuple en 2004 avait un effectif de 220'000 hommes répartis entre les 140'000 hommes «d'active» et les 80'000 hommes de réserve. Dans les discussions du DEVA on cite 140'000 hommes, mais en fait les textes sont clairs: l'effectif sera de 100'000 hommes dont 23'000 chargés de la défense, le solde étant réparti entre la logistique, l'aviation et l'aide aux autorités civiles.

En réduisant les effectifs à la portion congrue, on rend l'armée «professionnalisable»: on va vers une armée de militaires de métier qui pourront alors plus facilement être intégrés dans les forces de l'OTAN, l'actuelle participation au PPP – Partenariat pour la paix – n'étant que le premier marchepied de la transformation.

Le congrès de Vienne avait indiqué que la Suisse devait maintenir une neutralité armée. Nous avons, jusqu'en 2004, utilisé la dissuasion pour vivre en paix. Evoquer la coopération, si tentante puisqu'elle s'appuie sur l'étranger pour notre propre sécurité, apparaît comme de fort mauvais aloi quand, dans le même temps, les pays européens et les USA nous «font les poches» en menant les attaques que l'on sait contre notre économie, notre fiscalité, notre or. 

De plus, si les pays qui nous entourent, dont on sait qu'ils sont aussi maigres en effectifs militaires, ont à faire face à des crises, il faut être bien naïf pour penser qu'ils seraient prêts à venir nous aider à assurer notre propre sécurité, alors que nous avons profité du système Schengen pour nous décharger sur nos voisins de la protection de nos frontières. Inutile de préciser que charité bien ordonnée commence toujours par soi-même. Ne pas voir les pays qui nous entourent comme des adversaires militaires c'est très bien; il n'en demeure pas moins que les intérêts de ces pays ne sont pas les nôtres. Leur système démocratique non plus, d'ailleurs!

Certains dénoncent un manque de loyauté au sein du corps des officiers. Faut-il rappeler que les officiers sont aussi des citoyens et que leur avis compte à ce titre? Le projet DEVA est un projet politique. La loi qui le fonde est, de façon totalement démocratique, soumise à référendum. C'est un groupement de citoyens opposés au DEVA qui,  avec l'association Pro Militia, a lancé un référendum au lendemain du vote du Parlement le 18 avril 2016. D'ailleurs, si le peuple suisse a l'occasion de se prononcer sur des sujets aussi insignifiants que la vignette autoroutière à cent francs, il doit à plus forte raison pouvoir donner son avis sur un sujet aussi important que la sécurité de la population.

Notre système de démocratie directe suisse s'appuie sur un partage du pouvoir entre les citoyens et leur gouvernement. Ce partage entre droits et devoirs est visible, perceptible, vivant. En supprimant le devoir de servir le pays, en désarmant les citoyens, on déséquilibre la relation, attribuant finalement au citoyen le seul rôle d'électeur; une manière de rendre le pays compatible avec la vie démocratique qui se mène en Europe, une vie démocratique qui bat au rythme des élections, c'est à dire à un rythme quadriennal ou quinquennal permettant aux élus d'agir finalement comme ils veulent.

Qualifier les promoteurs du référendum de «traditionalistes», de «vieux nostalgiques», de «traîneurs de sabres» est un peu simple et ridicule quand on parle de la sécurité de la Suisse. C'est en tout cas fort pauvre au niveau de l'argumentation.

Pour remettre de l'ordre dans cet inimaginable gâchis, ce n'est pas une réforme qu'il faudrait, mais un chef qui remette de l'ordre, qui commande et exige; un chef qui explique aussi; un chef qui charpente ses arguments avec des données militaires pour monter des budgets, et ne se laisse pas impressionner par de dramatiques échecs comme ceux du système de conduite et d'information FIS HEER, de l'avion de combat Gripen ou du système de défense sol-air Bodluv.

Le DEVA ne doit pas être admis, les citoyens sont appelés à signer le référendum lancé par le groupe de citoyens contre la réduction de moitié de l'armée3.

François Villard

 

1 WEA (Weiterentwicklung der Armee) en allemand.

2 Voir le livre de Beni Gafner Armee am Abgrund (L'armée au bord du précipice).

3 Des listes de signatures peuvent être commandées à l'adresse www.armee-reduite-de-moitie-non.ch.

Thèmes associés: Armée - Politique fédérale

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