La liberté d'opinion est en danger
Il y a quelques semaines, le tribunal correctionnel d'Yverdon-les-Bains a condamné à un an de prison avec sursis une femme qui, enceinte d'environ huit mois, avait violemment heurté une table afin d'interrompre sa grossesse.
Selon les juges, la culpabilité de la condamnée est tout à fait lourde. Agissant avec froideur et égoïsme, elle a entrepris de multiples actes pour mettre fin à la grossesse, et n'a formulé à aucun moment de remords ou de regrets.
Si cette femme avait subi une césarienne et avait étranglé son bébé pendant l'accouchement (ou alors qu'elle se trouvait encore sous l'influence de l'état puerpéral), on aurait qualifié son acte d'infanticide (art. 116 du Code pénal) et non d'interruption punissable de grossesse (art. 118 al. 3 CP). La peine prévue est néanmoins strictement la même: peine privative de liberté de trois ans au plus ou peine pécuniaire.
Si elle s'était débarrassée du fœtus pendant les douze premières semaines de la grossesse, comme on pratique l'ablation d'un furoncle ou d'une tumeur, après avoir exposé à son médecin sa détresse profonde, elle n'aurait pas risqué l'intervention du procureur, quand bien même elle aurait agi avec froideur et égoïsme pour ne pas rater son départ en vacances et qu'à aucun moment elle n'aurait formulé de remords ou de regrets.
Aujourd'hui, grâce à l'inlassable action des féministes, le bébé qui croît dans le ventre de sa mère n'est qu'une excroissance du corps de celle-ci, dont elle peut disposer à son gré. L'avis du père importe peu, et l'avis du bébé encore moins.
L'avortement provoqué, appelé pudiquement interruption volontaire de grossesse (IVG) est non seulement licite, mais il est entièrement pris en charge par l'assurance maladie de base.
Subsistent encore dans des campagnes reculées, à l'abri des bienfaits de la civilisation moderne, des hommes et des femmes suffisamment incultes pour croire qu'un embryon est un être vivant et qu'un avortement est donc une forme d'homicide. Il y a donc des associations et des organisations qui tentent de venir en aide aux femmes qui vivent une grossesse inattendue en leur exposant que l'IVG n'est pas la seule solution possible, malgré la pression psychologique intense de l'entourage.
La France avait déjà sévi contre les défenseurs de la vie, en instituant un délit spécifique d'entrave à l'IVG1. Cet article punit d'un emprisonnement de deux mois à deux ans et/ou d'une amende de 2000 à 30'000 francs (env. 305 à 4573 €) le fait d'empêcher ou de tenter d'empêcher une interruption volontaire de grossesse ou les actes préalables: soit en perturbant l'accès aux établissements d'hospitalisation publics ou privés satisfaisant aux dispositions de l'article L. 176 du code de la santé publique; soit en exerçant des menaces ou tout acte d'intimidation à l'encontre des personnels médicaux et non médicaux travaillant dans ces établissements ou des femmes venues y subir une interruption volontaire de grossesse.
Le parlement français vient de franchir un pas supplémentaire, par le délit d'entrave numérique à l'IVG. Mme Laurence Rossignol, ministre de l'Enfance (sic!) se veut rassurante: il ne sera pas question de brimer la liberté d'expression: Chacun reste libre d'affirmer son hostilité à l'avortement, sur Internet ou ailleurs. A condition de le faire en toute honnêteté, car la liberté d'expression ne peut se confondre avec la manipulation des esprits, a-t-elle déclaré.
On peut imaginer les conséquences de cette nouvelle loi: prétendre que certaines femmes ayant subi des avortements ont ressenti plus tard des sentiments de culpabilité et ont regretté leur décision sera considéré comme une manifestation de manipulation des esprits, une pression intolérable sur la liberté que la femme doit pouvoir exercer sur «son corps».
Les études médicales qui prétendent avoir identifié l'avortement volontaire comme une des causes du cancer du sein2 seront dénoncées comme des tentatives de manipulation des esprits.
Et finalement, toute thèse contraire à l'opinion dominante sera incriminée comme tentative de manipulation des esprits. Il y a déjà des lois qui répriment expressément et sévèrement ceux qui ne croient pas à l'existence des chambres à gaz homicides pendant la deuxième guerre mondiale. On fera voter des lois pour punir ceux qui ne croient pas à l'innocuité des vaccins, qui ne croient pas au réchauffement climatique anthropogène, qui ne croient pas que la tour numéro 7 du WTC de New York s'est effondrée sur elle-même par mimétisme avec ses deux sœurs jumelles ou ceux qui doutent de la culpabilité de Néron dans l'incendie de Rome.
Il y aura donc, sur les sujets controversés, la thèse dominante qui deviendra la seule opinion admissible, toute autre opinion n'étant plus une opinion, mais un délit comme le rappelle Mme Martine Brunschwig-Graf avec l'indéfinissable sourire benêt qui l'a propulsée présidente d'une officine fédérale inutile, mais bien rétribuée.
Si l'on devait réellement punir la manipulation des esprits, ce ne sont pas seulement les fondateurs des sectes qui auraient du souci à se faire!
Claude Paschoud
1 Loi n° 93-121 du 27 janvier 1993 qui a introduit un article L. 162-15 dans le code de la santé publique.
2 Ce lien est controversé: les disciples de Mme Valérie Beral affrontent les disciples du professeur Joel Brind. Voir à ce sujet un article de René Blanc dans l'hebdomadaire Rivarol N°3261 du 8 décembre.
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