Suicides

On a appris à mi-octobre le suicide à Lannion (Côtes d’Armor) d’un ingénieur de France Télécom de quarante-huit ans, en arrêt maladie depuis un mois sur les conseils (sic) de son médecin du travail.

Cela porte hélas à vingt-cinq en vingt mois le nombre de suicides au sein de la grande entreprise de téléphonie.

Les syndicats ont immédiatement mis en cause la gestion de l’entreprise, où on a passé, selon le mot d’un ancien PDG, «d’une culture de service public à une machine à cash».

Ces syndicat sont bien audacieux, à mon avis, car je les tiens pour les principaux responsables de l’inadaptation des salariés aux conditions du XXIe siècle et, dès lors, du désespoir des plus vulnérables.

Jusqu’en 1990, les PTT étaient en France l’entreprise de service public qui coiffait les deux entités que sont devenues par la suite La Poste, d’une part, et France Télécom d’autre part. En 1996, France Télécom devient une société anonyme et, en 2005, la part de l’Etat dans le capital passe au-dessous de 50%

Le rachat d’Orange et la pression de la concurrence obligent France Telecom à des restructurations importantes, auxquelles les fonctionnaires des ex-PTT ne sont pas préparés. J’observe qu’aujourd’hui encore les deux tiers du personnel de France Télécom bénéficie du statut du fonctionnaire.

Les syndicats ont-ils fait tout ce qu’on pouvait attendre d’eux pour accompagner leurs membres dans cette mutation? Certes non. Les syndicats français sont probablement les archétypes de la sclérose, de l’immobilisme, de l’esprit réactionnaire le plus obtus. Imperméables aux changements, ils encouragent les salariés au maintien des acquis sociaux, aux revendications salariales, au refus de travailler au-delà la limite fatidique des trente-cinq heures par semaine, en bref à une culture non pas de service public mais de fonctionnariat universel.

Habitué pendant toute sa carrière à travailler peu, à servir, aussi mal que possible et pour des prix prohibitifs, des usager captifs d’un monopole, le fonctionnaire issu des PTT n’était pas préparé à tomber dans une véritable entreprise commerciale, avec des clients et avec des concurrents (SFR, Bouygues), dans une branche où il est possible plus qu’ailleurs de «délocaliser» des services dans des pays où on travaille plus pour des salaires moindres.

Les syndicats français n’ont su ni prévoir ni s’adapter. Il y a d’autres entreprises où la conduite est plus brutale et où le personnel s’adapte.

Dans un ouvrage intitulé «Orange stressé, le management par le stress à France Télécom» (La Découverte, 2009), le journaliste Ivan du Roy analyse le phénomène. Dans un débat du 1er octobre publié intégralement sur le site internet du journal Le Monde, un participant pose la question: «Les salariés des entreprises en compétition avec France Télécom sont-ils plus heureux, ou mieux traités, qu'à France Télécom L’auteur répond: «C'est difficile de savoir, parce qu'au sein de Bouygues Télécom ou de SFR, c'est davantage un désert syndical.»

M. du Roy voulait dire, évidemment, que ce «désert syndical» avait pour conséquence un manque d’information sur le bonheur des salariés. Moi, je lis cette information autrement: c’est dans l’entreprise où la présence syndicale est la plus forte que le taux de suicides est le plus grand, ce qui confirme mon hypothèse sur l’inaptitude de la CGT, de la CFDT, de FO et des autres à se préoccuper concrètement et utilement du sort des salariés.

Le débat a suscité parmi les internautes de nombreuses réactions, généralement hostiles au fonctionnariat: l’un d’eux écrit: «A l’époque où FT était service public, on pouvait attendre deux ans un raccordement au téléphone. Le monopole imposait des prix élevés et un service minable.» Une autre déclare: «Je travaille chez FT et je peux témoigner: c'est vraiment trop dur, on nous demande de travailler, tous les jours, et ça c'est vraiment insupportable. Avant la privatisation, ce n'était pas nécessaire. Ne travaillaient que ceux qui le voulaient. Pour les autres il suffisait d’être présent, surtout aux arrosages. Maintenant on nous demande d'être efficaces, et parfois mêm d'être compétents. Mais nous n'avons jamais été formés à cela et ça déstabilise l'ensemble de mes collègues.» Se non è vero…

Si je représentais les intérêts de la famille de l’un ou l’autre des désespérés de France Télécom, je n’attaquerais pas l’entreprise en responsabilité, mais le syndicat.

C.P.

Thèmes associés: Economie - Société

Cet article a été vu 3913 fois

Recherche des articles

:

Recherche des éditions