Lynchage médiatique (A propos de l'«affaire Fillon»)

Le lynchage médiatique, nous, on connaît. Notre rédactrice responsable, qui n'avait commis ni crime, ni délit ni contravention, a été jugée jadis par la presse et l'opinion publique coupable d'avoir été soupçonnée, comme l'a écrit plaisamment le philosophe Eric Werner, et de ce fait injuriée et traînée dans la boue par une cohorte de pisse-copie haineux et incultes, dont aucun n'aurait eu l'honnêteté – à défaut des compétences nécessaires – de se pencher sur le fond de la question litigieuse.

M. François Fillon vit aujourd'hui une situation comparable. Inspiré vraisemblablement par ses adversaires politiques, le Canard enchaîné a lancé l'hallali au moment opportun. Si l'affaire ne cesse de faire du vacarme, c'est moins la faute du goût de l'ancien premier ministre pour l'argent ou de sa pingrerie que des particularités typiquement françaises du droit du travail chez notre socialiste voisine.

Chaque député à l'Assemblée nationale reçoit, en plus de ses indemnités personnelles, une enveloppe mensuelle de 9'561 € pour rétribuer ses assistants parlementaires. (L'enveloppe est de 7'593 € pour un sénateur).

Le règlement précise que «le député-employeur, agissant pour son compte personnel, engage le salarié qui lui est juridiquement et directement subordonné et a toute sa confiance pour l'assister dans l'exercice de son mandat parlementaire». Il est encore précisé que «la cessation, pour quelque cause que ce soit, du mandat du député-employeur constitue une juste cause de rupture automatique du contrat».

Cette précision est utile en droit français où l'employeur n'est pas libre de résilier un contrat de travail, même en cas de baisse dramatique de son chiffre d'affaires ou en cas de cessation d'activité, si l'employé n'a pas donné lieu à son licenciement par une faute.

Mais depuis 1978, des indemnités de fin de contrat, financées par l'Assemblée nationale, sont allouées aux collaborateurs en cas de cessation du mandat du député-employeur. C'est évidemment une incongruité: soit l'employeur des assistants parlementaires est le député lui-même et l'enveloppe attribuée peut servir à rétribuer un nombre quelconque de personnes (et non pas: au maximum 5!) ou rester dans la poche du député si celui-ci se prive d'assistant (c'est le cas en Suisse où l'enveloppe de 30'000 francs par an est accordée même si le conseiller national n'a aucun collaborateur personnel), soit le débiteur du salaire des assistants est l'Assemblée nationale, qui s'acquitte des cotisations sociales, qui verse des indemnités de fin de contrat (que le Canard appelle des indemnités de licenciement) et qui peut donc limiter le nombre d'individus susceptibles de se prévaloir du titre d'assistants et s'inquiéter du travail effectif abattu par ces salariés dont elle est l'employeur.

Si l'enveloppe attribuée à chaque député et à chaque sénateur est un montant forfaitaire qui lui permet, agissant pour son compte personnel, d'engager le salarié qui lui est juridiquement et directement subordonné, le député n'a pas de comptes à rendre sur l'utilisation des fonds, ni même à prouver que les sommes allouées par lui-même à son (à ses) assistant(s) correspondent à un travail effectif.

Il n'y a en outre aucune bonne raison de restreindre le choix du député-employeur qui doit donc pouvoir rétribuer comme assistants des personnes de sa proche famille qui bénéficient de sa confiance.

Je n'avais pas de sympathie particulière pour M Fillon ni pour son programme politique, mais la violence de l'injuste cabale dont il est la victime lui fait gagner quelques points dans mon estime. Il a eu tort de s'excuser, ce qui ne le sauvera pas.

Et si Mme Le Pen ne parvient pas à crever ce fameux «plafond de verre» qui l'a privée des régions auxquelles elle pouvait légitimement prétendre, la France risque d'hériter d'un président qui n'a que les talents d'un bonimenteur de foire. Après cela, les Français seront mal venus de se moquer des Américains: leur président a beaucoup d'idées fausses, mais au moins il a des idées.

Claude Paschoud

Thèmes associés: Médias - Politique française

Cet article a été vu 3289 fois

Recherche des articles

:

Recherche des éditions