Editorial

Et si on déboulonnait les statues de Lausanne? Si on faisait disparaître la statue du major Davel de la place du Château? ou celle d'Alexandre Vinet de Montbenon? Si on mettait au rebut la statue équestre du général Guisan qui orne les abords du quai d'Ouchy?

Pourquoi conserver ces symboles du refus de l'ordre établi ou du bellicisme le plus condamnable?

Imaginons que quelques édiles, partisans de la formule «du passé faisons table rase», se mettent en tête d'«assainir l'histoire» en supprimant ces monuments chers à quelques nostalgiques – d'extrême droite évidemment – d'époques révolues et obscurantistes. Imaginons que lesdits nostalgiques se mettent en tête de manifester pour protester contre ce qu'ils considèrent comme une entreprise iconoclaste et qu'ils se heurtent à des «antifas» plus ou moins cagoulés décidés à en découdre. Imaginons enfin que la situation dégénère en affrontement et qu'une «bavure» aux conséquences tragiques provoquée par un «fasciste» dévoyé se produise.

Qui serait responsable? L'auteur de l'acte, évidemment; mais aussi les provocateurs venus empêcher des gens qu'ils n'aiment pas, des gens qui ne pensent pas comme eux, de faire connaître dans la rue leur indignation. En résumé, il y aurait des deux côtés des torts, des voyous et des gens très bien.

Pour avoir énoncé cet avis de bon sens à la suite des événements de Charlottesville – qui trouvent leur origine dans une protestation contre le déboulonnage d'une statue du général sudiste Robert Lee –, le président Donald Trump a subi le feu de la critique de tout ce que la planète compte de donneurs de leçons, y compris dans les rangs de ses «amis». Depuis lors, il louvoie entre les déclarations lénifiantes sur son antipathie pour les racistes et extrémistes de toutes sortes et le maintien de son point de vue initial, qui, semble-t-il, n'a pas varié. Laissons-le à ses jongleries et parlons manifestations.

De deux choses l'une: ou bien manifester est un droit imprescriptible de la personne humaine, auquel cas toute manifestation devrait être licite, à condition qu'il n'y ait pas de débordements; ou bien il y a de «bonnes» manifestations et des «mauvaises», et les secondes devraient être empêchées non par des contre-manifestants, mais par une autorité reconnue, sur la base de critères définis.

Or, que se passe-t-il? Lorsqu'une manifestation est organisée par des non-conformistes – des fascistes nationalistes nazistoïdes donc –, elle est immédiatement menacée d'une contre-manifestation «antifa» – au service du «bien», de la défense de la veuve et de l'orphelin, bien entendu –, ce qui place les autorités et la police dans une situation des plus inconfortables: ne se trouvent-elles pas dans la pénible obligation de surveiller à la fois les «méchants», pas forcément violents, du moins au départ, et les «gentils», auxquels se mêlent trop souvent des casseurs et des provocateurs?

On ne peut guère s'étonner, dans ces conditions, que fleurissent, pour les «extrémistes de droite», les interdictions de manifester ou d'organiser des réunions, voire des concerts, en raison d'un «risque de trouble à l'ordre public». Ce qui est surprenant, c'est qu'on oublie en général d'insister sur le fait que le risque de trouble ne provient pas plus de la manifestation proprement dite que de ceux qui veulent la bloquer, au nom de quelque grand principe, cela va de soi.

Je n'aime pas les manifestations de rue. Je ne crois pas à leur efficacité. Je n'ai pas non plus de sympathie particulière pour les rassemblements politiques et les concerts «néo-nazis». Mais je déteste encore plus l'état d'esprit de mes contemporains et leur manichéisme aveugle, qui les empêchent de renvoyer dos à dos les fauteurs de troubles, comme l'a fait si justement l'abominable homme de Washington.

Mariette Paschoud

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