Meurtres altruistes
Le médecin genevois Pierre Beck, vice-président romand de l'association d'aide au suicide Exit, a été condamné par le Tribunal de police, en octobre 2019, à cent vingt jours-amendes avec sursis pour avoir aidé une octogénaire à mourir avec son mari, alors qu'elle était en bonne santé. Il a fait appel de cette décision1.
L'audience de la Chambre pénale d'appel et de révision de Genève a eu lieu le jeudi 12 mars et, à cette occasion, le recourant a déclaré qu'il fallait aider cette femme et qu'il n'avait aucun regret. Apparemment, le fait de n'avoir pas rempli les conditions d'assistance au suicide – il aurait fallu que la dame fût atteinte soit d'une maladie incurable, soit de souffrances intolérables, soit de polypathologies invalidantes liées à l'âge – n'importe pas à ce monsieur. Il considère que le «besoin d'aide» face à la perspective d'un deuil qu'on ne se croit pas capable d'affronter suffit à justifier une demande d'assistance au suicide. Il n'est pas visité par l'idée que la société regorge de psys, dont le métier consiste notamment à aider les personnes en détresse morale et à leur rendre le goût de vivre si elles n'ont pas la foi. Il n'a jamais songé non plus qu'une personne saine décidée à s'ôter la vie peut le faire sans le secours d'Exit et que, privée de l'assistance de cette association, elle renoncera peut-être plus tard à son idée de suicide. Il ne lui a donc pas laissé une chance.
Cette dérive est extrêmement inquiétante. La tendance d'Exit à «élargir son offre» est connue. Le risque que des fratries pressées d'hériter incitent leurs vieux parents à faire une demande de suicide assisté en couple ne peut pas être exclu. Et le fait que, à la suite de l'affaire Beck, les demandes de suicide en couple devront être examinées par deux médecins et non plus un seul ne changera pas grand-chose, car il est improbable que les médecins désignés seront des militants anti-euthanasie peu sensibles au désir de quelques vieux couples de «mourir dans la dignité» en se tenant la main.
Cette affaire de meurtre par compassion rappelle l'époque où l'avortement était interdit, sauf si la grossesse mettait gravement en danger la santé de la mère. Cette exception concernait, dans l'esprit du législateur, les cas où la future mère allait selon toute probabilité mourir en couches ou se trouver durablement, voire définitivement, handicapée du fait de sa grossesse. C'était compter sans l'Organisation mondiale de la santé (OMS) – qui est à la santé ce que la politique de l'ONU est à la paix et le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) au changement climatique –, pour qui la santé est un «état de complet bien-être physique, mental et social et ne consistant pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité». Avec l'évolution des mœurs et l'exigence par le féminisme du «droit de la femme à disposer de son ventre», cette définition commode, qui permettait à toute femme enceinte désireuse de se débarrasser de son enfant d'invoquer un risque pour sa santé devant des médecins compatissants, allait contribuer à la légalisation de l'avortement.
On assiste à un phénomène comparable avec l'évolution d'Exit. Un de ces jours, on sera tellement altruiste, tellement soucieux de faire mourir les gens dans la dignité qu'une loi finira par autoriser l'envoi ad patres de toute personne dont la qualité de vie ne sera pas optimale ou qui aura manifesté, ne fût-ce qu'une seule fois, le désir d'en finir avec l'existence.
Mariette Paschoud
1 20 minutes du 13 mars.