La biodiversité n’est pas ce qu’on en dit

Qui pourrait s’opposer à la biodiversité? Comme personne ne désire se faire accuser d’être un ennemi de la nature, on pourrait penser que, le 22 septembre prochain, le peuple et les cantons suisses accepteront allègrement une initiative qui introduirait un nouvel article 78a dans la constitution intitulé «Paysage et biodiversité».1 Le Conseil fédéral et le Parlement n’y sont pourtant pas favorables et présentent de bons arguments2, sauf le premier qui prétend que cette initiative va trop loin.

Non, l’initiative ne va pas trop loin, elle ne va pas du tout; et si c’est dans une direction, c’est la mauvaise. Je m’explique.

«Mir müend öppis mache» disent nos confédérés alémaniques lorsqu’ils ont peur de ne pas savoir que faire; n’importe quoi plutôt que rien. Eh bien, en matière de biodiversité, on en fait déjà beaucoup, même si elle ne saurait jamais être suffisante tant qu’une espèce particulière, la nôtre, ne peut que la dégrader. Même dans notre merveilleux Parc national des Grisons, elle ne ferait que s’étioler.

Alors que les efforts de protection de l’environnement et de la santé humaine ne cessent de porter de meilleurs fruits, il faudrait nier cet état de fait, sonner une alarme constante et «en faire plus». Alors que, par exemple, au milieu des années 70, seul un petit refuge de cigognes dans la région bâloise abritait les derniers spécimens de cette espèce, il n’y a actuellement plus un clocher, une stèle ou un arbre étêté dans ce but qui n’en soit devenu l’habitat. D’autres grand oiseaux, milans ou hérons, sont aussi présents en nombre, signe que, du ver de terre au mulot, leur chaîne alimentaire est bien vivace. Et c’est survenu sans article constitutionnel. Il reste certes des espèces en danger ou menacées pour lesquelles des efforts de conservation doivent continuer et même être renforcés. Personne ne s’y oppose, bien au contraire.

C’est une première raison pour retoquer cette initiative: son inutilité et l’ajout garanti de chicaneries certifiées.

Mais surtout, il faut s’y opposer car c’est une étape de plus dans une bataille culturelle qui se déroule à notre corps pas assez défendant.

Tout comme ce fut avec la protection du climat, cela vise à sauvegarder et protéger un ectoplasme. La biodiversité est encore plus complexe et ne se mesure pas en mm Hg comme une pression artérielle, ni ne se limite à un réchauffement de 1,5 °C. On ne connaît même pas l’impact qu’un pourcent additionnel de terres protégées aurait sur quelle biodiversité. C’est bien et bon, juste par principe, sans vraiment savoir ce que cela doit être pour bien être. C’est magnifiquement plus compliqué et, puisque cela permet les pires interprétations, c’est le Graal du politique mal intentionné!

L’IPBES3, coryphée assemblé au chevet de ce malade, n’est pas qu’un collège d’experts en matière de biodiversité, de savants préoccupés à protéger les espèces en voie de disparition; ce serait bien, mais trop simple. A l’instar des COP du climat et des Davos de la globalisation économique, ce sont les «Conferences of the Parties of the Convention on Biological Diversity (CBD)4» qui se succèdent depuis 1994 pour écouter les avis d’experts et leur donner des instructions pour la suite.

Ce ne sont pas moins de 23 cibles qui doivent être atteintes en 2030 selon le «Cadre Mondial de la biodiversité de Kunming à Montréal5» adopté en 2022. On y trouve le but que «au moins 30% des terres, des eaux intérieures et des zones côtières et marines (…) sont protégées» (on en est à 17% pour les terres et 8% pour les mers) et aussi de restaurer 30% des écosystèmes dégradés et de réduire de moitié les risques liés aux pesticides. Dans un même élan, la Commission européenne veut mettre 30% des terres et des mers en réserve ou en protection rapprochée, allouer 10% des terres agricoles à une riche biodiversité et 25% en culture bio. Lorsque le comité d’initiative prétend que «les 30% représentent un objectif international dans le Cadre mondial de la biodiversité, qui n’a rien à voir avec l’Initiative biodiversité», il ment si effrontément que c’en est digne des pires cauchemars qu’Orwell ou Huxley nous ont décrits. Mettez le ver dans le fruit, il prospérera.

Il n’est pas responsable de se donner des buts qui n’augurent d’aucun résultat en matière de biodiversité et qui sont pratiquement et politiquement inatteignables. Ceux qui le veulent, savent cela, ce ne sont donc pas des imbéciles mais des nuisibles qu’il faut éloigner de tout pouvoir.

Voilà une autre bonne raison de s’opposer fermement à cette initiative.

Michel de Rougemont

MR's Blog – On & Off the Line (mr-int.ch)

 

1 Texte soumis au vote le 22 septembre 2024:

Art. 78a    Paysage et biodiversité

1  En complément à l’art. 78, la Confédération et les cantons veillent, dans le cadre de leurs compétences:

a.    à préserver les paysages, la physionomie des localités, les sites historiques et les monuments naturels et culturels dignes de protection;

b.   à ménager la nature, le paysage et le patrimoine bâti également en dehors des objets protégés;

c.    à mettre à disposition les surfaces, les ressources et les instruments nécessaires à la sauvegarde et au renforcement de la biodiversité.

2  La Confédération, après avoir consulté les cantons, désigne les objets protégés présentant un intérêt national. Les cantons désignent les objets protégés présentant un intérêt cantonal.

3  Toute atteinte substantielle à un objet protégé par la Confédération doit être justifiée par un intérêt national prépondérant; toute atteinte substantielle à un objet protégé au niveau cantonal doit être justifiée par un intérêt cantonal ou national prépondérant.

L’essence de ce qui mérite d’être protégé doit être conservée intacte. La protection des marais et des sites marécageux est réglée par l’art. 78, al. 5.

4  La Confédération soutient les mesures prises par les cantons pour sauvegarder et renforcer la biodiversité.

Les dispositions d’exécution doivent être édictées dans un délai de cinq ans.
Pour le vote, seuls comptent vraiment l’alinéa 1 lettre c et l’alinéa 3.

2 Explications relatives à cette votation sur le site de la Confédération.

3 The Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services (IPBES) est un organisme intergouvernemental indépendant créé par les Etats pour renforcer l’interface science-politique en matière de biodiversité et de services écosystémiques pour la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité, le bien-être humain à long terme et le développement durable (trad. DeepL).

4 Convention sur la diversité biologique (Convention on Biological Diversity, CBD) La Convention fixe trois objectifs principaux: la conservation de la diversité biologique, l’utilisation durable de ses éléments, et le partage juste et équitable des avantages découlant de l’exploitation de ses ressources génétiques.
Des objectifs non quantifiables (diversité, durable, juste, équitable) sont inatteignables mais bons pour des campagnes politiques.

5 Cadre Mondial de la biodiversité de Kunming à Montréal Vision 2030
La vision du cadre mondial de la biodiversité de Kunming-Montréal est celle d’une société vivant en harmonie avec la nature, où «d’ici à 2050, la biodiversité sera valorisée, conservée, rétablie et utilisée avec sagesse, de manière à préserver les services écosystémiques, la santé de la planète et les avantages essentiels dont bénéficient tous les êtres humains».

«Mission 2030»
Prendre des mesures urgentes visant à faire cesser et à inverser la perte de biodiversité afin de promouvoir le rétablissement de la nature, dans l’intérêt des populations et de la planète, grâce à la conservation et à l’utilisation durable de la biodiversité et au partage juste et équitable des avantages découlant de l’utilisation des ressources génétiques, tout en assurant les moyens de mise en œuvre nécessaires.

Thèmes associés: Environnement - Politique fédérale

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