L'Union européenne: une mystification
«La vie politique n’est acceptable que lorsque ses acteurs sont capables de définir le sens de leur action et d’en assumer la responsabilité. On attend des dirigeants le choix d’une ligne politique reposant sur une analyse des relations de force dans un monde en mouvement, de la place que le pays occupe, des cartes dont il dispose et de la manière dont on doit les jouer.»
Marie-France Garaud: Impostures politiques, IIe partie: Aux sources de l’affaissement français, éd. Plon, Paris 2010, p. 119.
En septembre dernier est sorti, chez Plon, dans la collection Tribune libre, un petit livre dont pratiquement personne ne parle, mais dont nous autres Suisses aurions grand intérêt à méditer le contenu, puisqu’il dénonce ouvertement la malhonnêteté des dirigeants européens, leurs permanents artifices de procédure destinés à masquer leurs ambitions, et le jeu savant que les Allemands tirent de telles manœuvres , en tout bien tout honneur pour eux, quand leurs voisins français, ou plutôt leur classe politique, esquivent lâchement les nombreuses questions juridiques posées par les traités européens. Ce livre porte la signature d’un ancien ministre, Marie-France Garaud. Son titre est éloquent: Impostures politiques.
A la lecture de ce qui n’est pas un pamphlet mais un plaidoyer fort bien argumenté en faveur de la souveraineté des Etats, nous sommes confortés dans l’idée que nos relations avec l’Union européenne doivent rester plus réservées que jamais et que chaque engagement de notre part doit être équilibré par les meilleures garanties de sauvegarde de notre souveraineté, structure fédérale comprise.
Marie-France Garaud met très opportunément l’accent sur une différence d’approche du droit entre Français et Allemands. Cette divergence a des conséquences extrêmement graves non pas seulement sur le plan strictement juridique, mais dans la vie économique et sociale des deux Etats en question. Elle le démontre admirablement.
Les approximations françaises: partant du constat largement démontré des incompatibilités entre des dispositions du droit constitutionnel français et des pouvoirs dévolus par traités à des organismes indépendants créés par l’Union européenne, le personnel politique français, François Mitterrand en tête, «au lieu de détailler ces innovations gênantes», trouva plus habile de les masquer à son opinion publique en insérant purement et simplement ces traités dans la Constitution française. «La procédure n’attira guère l’attention des curieux, ni d’ailleurs celle des constitutionnalistes, d’une prudente et singulière discrétion. Malheureusement, elle obérait complètement pour nous toute liberté future en sacralisant globalement ces traités par la plus haute protection juridique qui soit, les rendant pratiquement intangibles. (…) L’entrave que nous avions voulu croire alors sans grande conséquence se révéla plus tard fort aliénante dans le déséquilibre qu’elle entraîne avec notre partenaire allemand.»1
Plus avisés, mais aussi plus honnêtes et loyaux envers la société allemande, les Allemands reçurent ces mêmes traités européens de manière à préserver leur propre souveraineté. Leur position est juridiquement et politiquement imparable. Au lieu de se servir du droit pour masquer les problèmes de souveraineté, ils intégrèrent la notion de souveraineté dans leur propre système de droit, avec cette conséquence essentielle sur la force contraignante interne des traités européens en Allemagne: l’Union européenne ne disposant ni de la personnalité juridique ni du pouvoir de commandement, aucune disposition de ces traités européens ne peut être interprétée comme permettant une évolution vers une organisation européenne disposant de pouvoirs indéterminés et imprévisibles. La Cour constitutionnelle de Carlsruhe fixe ainsi des limites absolues à l’Union européenne sur sol allemand, limites correspondant aux compétences dont aucun Etat ne peut être privé sans perdre sa souveraineté, autrement dit sans cesser d’être une entité souveraine2.
Nos hommes politiques en Suisse auraient grand avantage à bien connaître les trois données fondamentales de la politique européenne: une organisation qui cultive l’ambiguïté juridique sur ses propres velléités supranationales mais qui les dissimule afin de ne pas heurter de front les opinions publiques au sein des Etats membres de l’Union; une classe politique française généralement inapte à relever ce défi, et qui n’en a du reste pas la volonté, qui agit donc contre les intérêts bien compris du peuple français lui-même; et une République fédérale allemande légitimement soucieuse de clarté juridique sur les enjeux souverainistes et, pour ce motif, maîtresse du terrain juridique et, conséquemment, économique et social face à un Etat français qui se désarme lui-même!
Dans ce grand marché européen, la force de la Suisse est son opinion publique, appuyée sur sa démocratie directe. Il ne lui manque que la fermeté des prises de position de la Cour constitutionnelle de Carlsruhe pour devenir un partenaire réellement indépendant de l’Union, prenant appui sur les positions mêmes d’un Etat membre de cette Union pour mettre en évidence la duplicité des autorités européennes, ouvertement présentée comme telle par Madame Garaud. Notre structure fédérale, notamment en matière fiscale, devrait être, dans ces rapports, l’une des forteresses de notre légitime défense contre des tentatives malhonnêtes de revendications à la supranationalité de l’Union.
Michel de Preux
1 Op.cit., pp. 50-51.
2 Ibidem, p. 59.
Marie-France Garaud: Impostures politiques, IIe partie: Aux sources de l’affaissement français, éd. Plon, Paris 2010, p. 119.
En septembre dernier est sorti, chez Plon, dans la collection Tribune libre, un petit livre dont pratiquement personne ne parle, mais dont nous autres Suisses aurions grand intérêt à méditer le contenu, puisqu’il dénonce ouvertement la malhonnêteté des dirigeants européens, leurs permanents artifices de procédure destinés à masquer leurs ambitions, et le jeu savant que les Allemands tirent de telles manœuvres , en tout bien tout honneur pour eux, quand leurs voisins français, ou plutôt leur classe politique, esquivent lâchement les nombreuses questions juridiques posées par les traités européens. Ce livre porte la signature d’un ancien ministre, Marie-France Garaud. Son titre est éloquent: Impostures politiques.
A la lecture de ce qui n’est pas un pamphlet mais un plaidoyer fort bien argumenté en faveur de la souveraineté des Etats, nous sommes confortés dans l’idée que nos relations avec l’Union européenne doivent rester plus réservées que jamais et que chaque engagement de notre part doit être équilibré par les meilleures garanties de sauvegarde de notre souveraineté, structure fédérale comprise.
Marie-France Garaud met très opportunément l’accent sur une différence d’approche du droit entre Français et Allemands. Cette divergence a des conséquences extrêmement graves non pas seulement sur le plan strictement juridique, mais dans la vie économique et sociale des deux Etats en question. Elle le démontre admirablement.
Les approximations françaises: partant du constat largement démontré des incompatibilités entre des dispositions du droit constitutionnel français et des pouvoirs dévolus par traités à des organismes indépendants créés par l’Union européenne, le personnel politique français, François Mitterrand en tête, «au lieu de détailler ces innovations gênantes», trouva plus habile de les masquer à son opinion publique en insérant purement et simplement ces traités dans la Constitution française. «La procédure n’attira guère l’attention des curieux, ni d’ailleurs celle des constitutionnalistes, d’une prudente et singulière discrétion. Malheureusement, elle obérait complètement pour nous toute liberté future en sacralisant globalement ces traités par la plus haute protection juridique qui soit, les rendant pratiquement intangibles. (…) L’entrave que nous avions voulu croire alors sans grande conséquence se révéla plus tard fort aliénante dans le déséquilibre qu’elle entraîne avec notre partenaire allemand.»1
Plus avisés, mais aussi plus honnêtes et loyaux envers la société allemande, les Allemands reçurent ces mêmes traités européens de manière à préserver leur propre souveraineté. Leur position est juridiquement et politiquement imparable. Au lieu de se servir du droit pour masquer les problèmes de souveraineté, ils intégrèrent la notion de souveraineté dans leur propre système de droit, avec cette conséquence essentielle sur la force contraignante interne des traités européens en Allemagne: l’Union européenne ne disposant ni de la personnalité juridique ni du pouvoir de commandement, aucune disposition de ces traités européens ne peut être interprétée comme permettant une évolution vers une organisation européenne disposant de pouvoirs indéterminés et imprévisibles. La Cour constitutionnelle de Carlsruhe fixe ainsi des limites absolues à l’Union européenne sur sol allemand, limites correspondant aux compétences dont aucun Etat ne peut être privé sans perdre sa souveraineté, autrement dit sans cesser d’être une entité souveraine2.
Nos hommes politiques en Suisse auraient grand avantage à bien connaître les trois données fondamentales de la politique européenne: une organisation qui cultive l’ambiguïté juridique sur ses propres velléités supranationales mais qui les dissimule afin de ne pas heurter de front les opinions publiques au sein des Etats membres de l’Union; une classe politique française généralement inapte à relever ce défi, et qui n’en a du reste pas la volonté, qui agit donc contre les intérêts bien compris du peuple français lui-même; et une République fédérale allemande légitimement soucieuse de clarté juridique sur les enjeux souverainistes et, pour ce motif, maîtresse du terrain juridique et, conséquemment, économique et social face à un Etat français qui se désarme lui-même!
Dans ce grand marché européen, la force de la Suisse est son opinion publique, appuyée sur sa démocratie directe. Il ne lui manque que la fermeté des prises de position de la Cour constitutionnelle de Carlsruhe pour devenir un partenaire réellement indépendant de l’Union, prenant appui sur les positions mêmes d’un Etat membre de cette Union pour mettre en évidence la duplicité des autorités européennes, ouvertement présentée comme telle par Madame Garaud. Notre structure fédérale, notamment en matière fiscale, devrait être, dans ces rapports, l’une des forteresses de notre légitime défense contre des tentatives malhonnêtes de revendications à la supranationalité de l’Union.
Michel de Preux
1 Op.cit., pp. 50-51.
2 Ibidem, p. 59.
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